A Design Miami/ Basel, les objets domestiques sont aussi d’art

En marge d’Art Basel, la foireDesign Miami/ Basel expose un mobilier rare, aussi bien contemporain que vintage, mais aussi des maisons entières

Depuis dix ans, Design Miami/ Basel cherche à convaincre le collectionneur d’art contemporain que le design aussi mérite son attention. Les débuts étaient orientés sur la création contemporaine avec démonstration en direct live de Tom Dixon extrudant d’une machine ses chaises en plastique. Avant de bifurquer sur le mobilier vintage de collection. Fini les shows des jeunes créateurs, place aux meubles historiques et au business. D’où le léger sentiment pour le participant régulier de cette foire à l’objet rare de revoir, d’une année à l’autre, toujours un peu les mêmes stands. Et de confirmer qu’à Design Miami/, les meilleures galeries sont françaises et italiennes. Le pays des premières a inventé les arts décoratifs, celui des secondes le design d’après-guerre. Depuis quelques éditions, c’est le Parisien Patrick Seguin qui accueille les visiteurs. Ou plutôt l’une de ces maisons démontables de Jean Prouvé, dont le galeriste parisien a toujours sous le coude un exemplaire. Quoique plus tant que ça, vu qu’il a invité l’architecte britannique Richard Rogers à customiser l’une de ces habitations minimums créée en 1944. L’Anglais y a ajouté une cuisine et une salle de bains. C’est complètement chic, complètement désirable. Mais pas forcément donné.

Jacques Biny, designer éclairé

Histoire de dire aussi que Jean Prouvé se vend toujours très bien, comme tout le mobilier français des années 50-60 d’ailleurs. «Surtout le luminaire de cette époque. On sentait la tendance arriver depuis dix ans, mais là, c’est bon: on y est. Une lampe, ce n’est pas comme un vaisselier. Vous pouvez facilement en posséder des dizaines», observe Pascal Cuisinier, galeriste de Paris qui expose à Bâle les objets de Jacques Biny. Le designer a exclusivement dessiné des lampes. Au point de fonder en 1953 Luminalite, une entreprise qui va travailler avec des designers très éclairés. Comme cette suspension dont le voile évoque une raie manta. Une rareté dont il n’existe, à la connaissance du marchand, qu’un seul autre exemplaire. Combien pour la lampe-poisson? «Je ne peux pas vous le dire, celle-ci est vendue. Mais disons que mes prix s’échelonnent entre 10 000 et 25 000 euros. Là, on est clairement au-dessus», explique le galeriste, qui ne s’intéresse qu’à la fourchette 1951-1961. «Précisément. Pour dire que ce sont surtout les années 50 qui me passionnent. Les avancées en termes de formes et de matières se font à ce moment-là. La décennie suivante est beaucoup moins intéressante. Les designers vont réinterpréter en moins bien les innovations spectaculaires de l’avant-garde. Ils vont aussi avoir accès à la commande publique et faire de l’architecture d’intérieur pour de grands ensembles. L’intérêt qu’ils portaient à l’objet va s’émousser.»

Sur son stand, le galeriste expose des appliques en métal laqué et des lampes de chevet où le premier plexiglas fait son apparition. Le marché poussant à la nouveauté, reste-t-il encore des designers à découvrir? «Pas beaucoup. Ah si! un, sur lequel je travaille à la publication d’un livre. Robert Mathieu, personne ne le connaît, il n’existe aucun document de référence, mais chaque fois que l’une de ses lampes passe en vente, c’est l’émeute. On découvrira bientôt que c’est l’un des plus grands créateurs de luminaires de l’histoire du design. Je le collectionne depuis dix ans.»

Des «Zombie» dans un jardin

Mathias Jousse, lui, se souvient avoir trouvé une paire de fauteuils «Zombie» de Roger Tallon (le designer du TGV) dans un jardin «plantée dans la terre. Elle servait à étendre le linge.» Une rénovation plus tard, la voilà qui apparaît sur son stand dans l’éclat de ses couleurs pop d’époque mais à un prix plus du tout agricole. Avec son père Philippe, le galeriste entretient depuis longtemps l’esprit du beau design hexagonal sous l’égide de Jousse Entreprise. Comme ce bureau en verre de 1967, d’Antoine Philippon et Jacqueline Lecoq. «En 15 ans, c’est le deuxième que je vois passer en vente.» Même chose pour cette rainette en résine verte dans laquelle on peut s’asseoir, de François-Xavier Lalanne, artiste et designer dont on connaît surtout les moutons en bronze et en pilou. Rééditées en 2000, les pièces d’époque sont rarissimes. D’où un prix qui tourne autour de 100 000 euros pour le Fauteuil-crapaud.

Pas de vintage chez Carpenters Workshop, maxi-galerie établie à Londres et à Paris et qui court 16 foires par an. Ici, c’est la place de la création contemporaine avec des noms qui claquent: Studio Job, Marc Newson, Atelier Van Lieshout et Wendell Castle. Autres signatures, autre clientèle. Les objets se trouvent à la marge entre le design et la sculpture. Le fauteuil en bronze de l’anglais Wendell Castle doit visiblement beaucoup à la statuaire surréaliste. Les Belgo-Néerlandais de Studio Job présentent, eux, leurs dernières créations, dont une table avec un pied formé de deux locomotives qui s’emplafonnent tandis que les jets de vapeur font office de plateau. «Nos acheteurs collectionnent l’art contemporain et ont de l’argent», explique Timothée Nicot en charge de la communication de la galerie. De l’argent, à quel niveau? Suffisamment pour se payer cette version tout chrome de l’ «Orgone Chair» de l’Australien Marc Newson qui s’affiche à 450 000 euros. La pièce la plus chère du stand.

Maison en carton

Mais le design, du moins pour la foire, c’est aussi de l’architecture. De la même manière que le marché de l’art encourage les pièces gigantesques qu’Art Basel regroupe dans la section Art Unlimited situé pile dans la halle d’en face, Design Miami/ Basel expose à la vente des maisons entières. Histoire aussi d’occuper le gigantesque espace vide que la foire a hérité en emménageant en 2014 dans la nouvelle halle dessinée par Herzog & de Meuron. Le salon consacre ainsi une section à ce design en grand assez naturellement intitulé «Design at large». Le design doit en effet y être entendu au sens étendu. L’année dernière, c’était une maison-bulle en plastique de 1963 de Jean Benjamin Maneval qui partait rejoindre le jardin de la Fondation Speerstra d’Apples. En 2015, c’est une maison de thé en carton de l’architecte japonais Shigeru Ban, dont les abris d’urgence sont l’une des spécialités que présente la galerie italienne Nilufar plutôt portée sur le vintage. C’est aussi une station d’essence Total de Jean Prouvé de 1969, objet circulaire et tout en verre exposé par Patrick Seguin. Il y a même, garé juste à côté, un combi Volkswagen d’époque de 1967 et en parfait état avec sa kitchenette en bois. Signe que le design vintage roule vraiment pour tout.

Design Miami/ Basel, jusqu’au 21 juin 2015, Messeplatz, Bâle, www.designmiami.com

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Pascal Cuisinier

Galeriste de design

«Une lampe, ce n’est pas comme un vaisselier. ous pouvez facilement en posséder des dizaines»