Destin brisé d’un comédien surdoué

Retrouvé mort à son domicile new-yorkais, Philip Seymour Hoffman, 46 ans, était un acteur phénoménal

Excellant dans les rôles tourmentés, il avait reçu l’Oscar pour «Truman Capote»

Quand la nouvelle du décès de Philip Seymour Hoffman s’est répandue, certains sont restés perplexes: ils avaient beau avoir vu The Big Lebowski, Boogie Nights ou Mission Impossible 3, ils ne visualisaient soudain plus le comédien. Parce que le gros blond avec un regard noir ne défrayait pas la rubrique people. Mais aussi parce qu’il était changeant, comme le temps à l’orage. Et puisqu’il excellait à jouer les salopards, on tendait à l’occulter.

Sa rapidité, son agilité d’ancien sportif contrastaient avec son embonpoint à géométrie variable. «Beaucoup de gens me décrivent comme dodu, ce qui paraît un peu simple. Ou trapu. Pourquoi pas dense?» demandait-il.

Dense est un adjectif qui convient à Philip Seymour Hoffman. Le plus petit de ses rôles n’était jamais anodin. Et quand il passait au premier plan, il était effroyable de justesse, de complexité. Qu’on se souvienne du gourou de The Master (2012), de Paul Thomas Anderson, ce sphinx placide et manipulateur doucereux explosant en courroux jupitériens. Qu’on se souvienne du minable de 7h58 ce samedi-là (2007), de Sidney Lumet, qui imagine un casse chez ses propres parents, bijoutiers, et s’égare dans un labyrinthe de mensonges et de meurtres.

Dans un registre plus commercial, car il alternait intelligemment théâtre, cinéma d’auteur et films populaires, il a incarné Plutarch Heavensbee, le maître de cérémonie de Hunger Games, un tordu qui cache bien son jeu. Ce rôle devrait s’étoffer dans les deux derniers volets de la saga à succès, par chance déjà mis en boîte.

Le personnage de Truman Capote, dans le film éponyme de Bennett Miller (2005), lui vaut un Oscar amplement mérité. Le comédien réussit à comprimer sa forte stature dans le gabarit fluet de l’écrivain, troque son timbre grave contre une voix de fausset, et exprime la troublante ambivalence de l’auteur, humaniste et narcissique, travailleur et fêtard, témoin hanté de la tragédie humaine et grande folle couverte de courtisans.

Né le 23 juillet 1967 dans l’Etat de New York, Philip Seymour Hoff­man sort diplômé de la Tisch Shool en 1989 et commence à courir le cachet, tout en multipliant les petits boulots. En 1992, après le remake de Parfum de femme, avec Al Pacino, la chance tourne, et «comme un jeu de dominos», les propositions s’enchaînent. Paul Thomas Anderson lui confie le premier rôle de Boogie Nights, celui d’un producteur de films porno.

Suivent Happiness, de Todd Solondz, Almost Famous, de Cameron Crowe, dans lequel il incarne le critique rock Lester Bangs, Red Dragon, ou les débuts d’Hannibal le cannibale, Doubt, où il joue un prêtre aux côtés de son idole Meryl Streep… Il fait merveille dans les rôles d’éminence de l’ombre et de conseillers occultes, spin doctor dans Les Marches du pouvoir ou entraîneur de baseball à qui on ne la fait pas dans Le Stratège. Une cinquantaine de films, auxquels s’ajouteront, à titre posthume, God’s Pocket et A Most Wanted Man, puis deux Hunger Games

Philip Seymour Hoffman affirmait ne pas chercher «des personnages spécialement négatifs, mais des gens qui ont une faille, un combat à mener». Incontestablement, il l’avait en lui, cette faille, et la creusait devant la caméra et sur les planches. De son art, il disait: «C’est presque impossible de ne pas être influencé par tout ce qui se passe lorsque vous travaillez sur un personnage. La musique, parfois. C’est ça, être acteur: se servir de tout ce qui vous influence pour sortir de vous-même.»

Le fabuleux comédien a été retrouvé mort dimanche dans son appartement de Greenwich Village, apparemment d’une overdose, une seringue dans le bras. En mai de l’année dernière, il avait suivi une cure de désintoxication. Il avait rechuté après vingt-trois ans de sevrage.

«Beaucoup de gens me décrivent comme dodu, ce qui paraît un peu simple. Pourquoi pas dense?»