Chaque semaine de l'été, «Le Temps» s'arrête sur ces «nouveaux» usages du français qui nous étonnent, voire nous horripilent.

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«Genre» est un mot très riche. Il peut renvoyer aux genres grammaticaux, au mauvais genre et à son pendant, le bon genre – celui-ci se présentant souvent avec son double le bon chic –, renvoyer aussi au genre taxonomique, coincé entre famille et espèce. Et puis il y a «genre». «Genre», comme dans «J’savais pas quoi dire, genre j’étais gênée.» Ou comme dans «J’ai raté le contrôle, genre grave.» Voire: «J’ai raté le contrôle, genre.»

Perspicace, vous aurez noté que le contexte de ces exemples, tirés de la vraie vie, semble associer «genre» aux plus jeunes locuteurs du français. L’Académie reconnaît – comme usage fautif – «il était genre 10h» ou «une chanson genre bête» dans son extraordinaire rubrique «Dire, ne pas dire»; mais «genre» utilisé seul est en effet une expression très contemporaine, l’invention minimaliste d’une génération qui veut aller vite sans s’embarrasser de syntaxe.

Un pari sur la connivence

Genre peut ouvrir une phrase pour mettre plus d’emphase: «Genre, c’est énorme ce beat!» Mais la syllabe au statut grammatical aléatoire sert surtout à court-circuiter toutes les subordonnées du monde. C’est un raccourci saisissant qui permet d’enquiller les informations sans les mettre en relation, et vite. «La fille me regardait, genre elle voulait qu’j’mette mon masque.» On compte huit syllabes de plus pour «La fille me regardait d’un air qui m’a fait deviner qu’elle voulait qu’j’mette mon masque.»

«Genre» fait gagner du temps en laissant l’interlocuteur reconstituer les éléments manquants, il parie sur sa connivence. Signe que «genre» répond à un besoin, la langue anglaise aussi a créé un mot qui fait tout, ce like omniprésent dans les conversations des adolescents notamment.

Hélas, «genre» emporte aussi toutes les subtilités, les nuances transmises par les adverbes, les conjonctions manquantes, les phrases non dites! Plus besoin de concevoir clairement, si tout peut s’énoncer en vrac, sans articulation logique. Des idées, des pensées se perdent en route. «Genre» fait parler plus vite, mais moins loin.