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Disques. J.-S. Bach. La Passion originelle

Classique. Ton Koopman fait revivre une œuvre perdue du compositeur allemand: un beau produit.

Jean-Sébastien Bach fut un imposant géniteur. De ses deux mariages, vingt enfants ont vu le jour, dont dix seulement ont survécu. Il semble bien que ce régiment d'héritiers soit une des causes de la disparition d'un nombre important d'œuvres de Bach le père. Certaines partitions, dispersées parmi sa progéniture, sont à jamais perdues. Par exemple, cinq passions sont répertoriées dans le plus ancien catalogue des œuvres de Bach, rédigé vers 1751. Or, seules les Passions selon saint Matthieu et saint Jean, ainsi que le texte d'une Passion selon saint Marc ont survécu. De cette dernière, on ne sait que peu de chose, si ce n'est qu'elle fut composée en 1731, qu'une partie de la partition a été recyclée à partir de ses Cantates N° 54 et 198 et qu'un mouvement fut utilisé, remanié, dans l'Oratorio de Noël.

Dans un coffret paru récemment chez Erato, Ton Koopman fait revivre la Passion selon saint Marc pour l'année Bach. En s'inspirant du texte existant, le chef néerlandais a reconstitué la passion dans une forme qui se veut fidèle à l'original. Pour ce faire, il a dû puiser dans les compositions antérieures à 1731 et composer ce qu'il ne pouvait trouver. Si Koopman n'a pas eu de problème à dénicher dans l'œuvre immense de Bach une musique adaptée à la plupart des airs, chorals et chœurs, le chef s'est attelé à la composition d'une bonne partie des récitatifs. Le résultat en est une Passion cohérente et continue, durant laquelle on retrouve les caractéristiques des Saint Jean et Saint Matthieu. Cette réalisation est-elle pour autant plus intéressante que les enregistrements précédents, moins ambitieux?

Parmi les quatre enregistrements disponibles de la Passion selon saint Marc, deux méritent le détour, celui de Roy Goodman, chez Fono (MO 070 970) et celui de Peter Schreier chez Universal (Ph 456 424-2). Si le premier est un peu confidentiel, le second est particulièrement émouvant. Peter Schreier, chef et ténor solo, récite les passages qu'il n'a pas pu reconstituer. Sa Saint Marc conserve ainsi une nature de documentaire et rappelle le sort réservé à l'original.

Mais Koopman n'a pas mené son opération de «reconstruction» à la légère. Sa Passion selon saint Marc est servie par les meilleurs spécialistes de Bach, à commencer par son chef. Le ténor Christoph Prégardien et les basses Peter Kooy et Klaus Mertens s'imposent comme les piliers de la réalisation. Tous trois rompus aux cantates et passions, ils forment l'essentiel de la cohérence de l'œuvre. Christoph Prégardien campe un Evangéliste parfait et racé, tandis que le Christ de Peter Kooy rend, dans toute sa simplicité, le caractère d'innocence de l'Evangile de Marc. Klaus Mertens caresse les airs de basse d'un timbre cuivré et lumineux, tout en donnant vie aux personnages peu recommandables de Petrus et Pontiflex. Paul Agnew perd en ligne ce qu'il donne en expressivité mais le ténor montre une facilité confondante à affronter le rythme endiablé de ses airs. Malheureusement, Sibylla Rubens et Bernhard Landauer, la soprano et l'alto, passent presque inaperçus.

Créé en 1979 par Ton Koopman, l'Orchestre baroque d'Amsterdam reste fidèle à sa réputation d'excellence. Le continuo est particulièrement soigné et c'est principalement par là que Ton Koopman démontre sa science.

Si le résultat de la Saint Marc selon Koopman est un beau produit, il ne constitue pas pour autant une révélation. L'ajout de compositions maison ne semble pas être la plus heureuse des initiatives. Les récitatifs de Koopman sont certes cohérents et ses choix musicaux intelligents. Mais l'écoute lasse et les fruits de l'expérience tardent à mûrir. Peter Schreier avait réussi à toucher l'essentiel en restant l'interprète réservé d'une Passion perdue. Ton Koopman tombe dans l'excès en recomposant dans le style d'un Bach supposé. On se rassure: la machine à remonter le temps n'est pas encore inventée.

J. S. Bach

Markus Passion BWV 247

The Amsterdam Baroque Orchestra

& chor, dir. Ton Koopman

(8573-80221-2 Erato/Warner)