L'homme à barbe noire parle subitement de son parcours. Brésil, Dakar puis Vevey. Père pasteur. Piano précoce et premières expériences dans le free jazz. La vie de Malcolm Braff ressemble à ces saynètes filmées de Charlie Chaplin: mouvement accéléré, intrigue complexe, dénouement heureux. A 29 ans, celui qui, de son propre aveu, a manqué d'entendre certains disques fondateurs du jazz moderne, devient un jazzman accompli.
The Preacher contient la suite du précédent opus Together. Malcolm Braff y creuse encore ses références œdipiennes. Souvenir du sermon paternel, du gospel dans le temple («Song of Wonderful Things», «Gospel»), ces chants religieux ne sauraient pourtant envahir les églises. Trop charnelles pour être pieuses, les messes de Malcolm feraient rougir les grenouilles dominicales. Plus que jamais et parce que sa technique s'est considérablement développée, son jeu pianistique ressemble à celui d'Abdullah Ibrahim. Autre pianiste dont le lien à la musique chrétienne est plus sentimental que fidéiste. Le prédicateur sans Bible.
Malgré la beauté des pièces courtes qui inaugurent le disque, The Preacher serait un peu étriqué sans le thème «Bitches of Spain». Alors que le début du disque ne souffre pratiquement aucune rupture rythmique, ces «Chiennes ibériques» (sic) commencent par aboyer dans le vide. Jeux de sons presque silencieux. Olivier Clerc a la frappe dégingandée. Bänz Oester le suit sur la même vibration. Puis, Mathieu Michel et Malcolm Braff formulent quelques couples d'accords pacifiés. Ni une ni deux, la composition s'embrase. Même atmosphère enflammée que dans le «Yasmina/Black Woman» d'Archie Shepp: un voyage aux confins du jazz libertaire. Mathieu Michel souffle des notes que seul Freddie Hubbard avait émises un jour dans «Olé» de Coltrane: sentiment d'anarchie organisée, de pulsions assumées. Malcolm Braff prend alors un solo d'une clarté rare. On sait soudain que les prochains disques de Combo seront des live et qu'ils prendront la forme épanouie de ces «Bitches of Spain».