«Doom», l’enfer des nuits blanches

Retrogaming Comme le cinéma, le jeu vidéo cultive ses grands classiques

Profitons du beau temps pour revisiter ces monuments ludiques. Aujourd’hui, on explose un Minotaure cyborg

Un couloir. Un autre. Et encore un autre. Devant vous, le canon du fusil d’assaut que vous portez à la main se balance de droite à gauche, prêt à faire feu. Soudain, au détour d’une porte en acier, un monstre surgit de ce dédale de l’angoisse. Le Minotaure cyborg charge. Il faut tirer, tirer, tirer. Ou alors fuir comme un dératé ce labyrinthe dans lequel un architecte sournois a remixé la science-fiction d’Alien avec le gore extrême d’Evil Dead. La bestiole ne décroche pas. Vous la sentez sur vos talons. L’écran de contrôle indique le niveau de munition de votre chargeur, une barre de santé et la tête du Space Marine que vous incarnez. Plus le type en prend dans les gencives, plus son visage porte les marques des coups qu’il encaisse. Quand il grogne, c’est mauvais signe, celui que la fin est proche.

Doom et ses corridors infernaux peuvent sans aucun doute décrocher la palme du jeu à nuit blanche. Au point que le concept de Game Night a dû être inventé pour lui. Un jeu addictif donc, dont on garde le souvenir impérissable de parties interminables à se cogner contre les murs en débitant à la tronçonneuse des créatures dantesques en ragoût. La faute à deux John, Carmack et Romero, jeunes développeurs du Kansas fondateur d’id Software et créateurs de Doom, qui reste encore aujourd’hui leur produit culte. En 1993, ils ont à peine 23 ans, mais le génie du code au bout des doigts. Mozart de l’algorithme graphique, ils inventent Doom et imposent un nouveau mètre étalon: celui du jeu de tir à la première personne dans un environnement en trois dimensions. Son nom s’impose naturellement: «doom» signifie aussi bien le destin que la ruine et la condamnation. Même si Carmack, lui, a toujours prétendu que le titre lui avait été inspiré par une réplique de Tom Cruise dans La Couleur de l’argent. Le film raconte l’histoire d’un jeune prodige du billard cornaqué par un vieux briscard du jeu de bande. Carmack et Romero ne sont pas les rois de l’arnaque, mais vont ramasser une fortune. Rien que pour le premier Doom, on estime à 30 millions le nombre de copies vendues à travers le monde.

Le jeu ouvrira surtout la voie à des générations de softwares similaires et aura l’honneur d’entrer dans le dictionnaire. On dira désormais «Doom-like» pour qualifier un jeu vidéo qui fonctionne sur le principe du First Person Shooter (FPS) en plaçant le joueur au cœur de l’action (comme Quake ou Half-Life). Pourtant Doom n’est pas le premier FPS de l’histoire. John Carmack et John Romero s’étaient déjà fait la main sur un autre dédale, lui aussi promis à un brillant avenir. Le décor ne représente pas la planète Mars et ses lunes (Phobos et Deimos), mais le château bavarois dans lequel Hitler s’embusque. Epoque différente, mais monstre identique. A sa sortie en 1992, Wolfenstein 3D suscite la polémique. Le sujet est sensible. L’Allemagne juge que le jeu fait l’apologie du nazisme et en interdit la vente.

Doom ne va pas non plus échapper à la controverse. Il cristallise la haine d’Hillary Clinton, alors première dame des Etats-Unis, pour ces jeux vidéo violents qui mettent à l’envers les cerveaux de la jeunesse. Il faut dire que deux ados tueurs viennent de massacrer leurs camarades du collège de Columbine. L’un d’eux aurait annoncé vouloir perpétrer un massacre «comme dans Doom». L’affaire relance les médias sur les méfaits des jeux de tir avant de passer à autre chose. Une fois le feu éteint, Doom va mener sa carrière pépère. Trois autres épisodes sortiront qui vont générer de confortables retours sur investissement. En 2008, John Carmack promettait un Doom 4 pour 2014. On attend toujours. En fait, on peut attendre longtemps: en 2013, le développeur quittait id Software pour prendre la tête d’Oculus Rift VR, la boîte de casques virtuels propriété de Facebook.

Son nom s’impose naturellement: «doom» signifie aussi bien le destin que la ruine