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Depuis 2000, l’irrésistible expansion des séries TV

De 1999 à aujourd’hui, des Soprano à The Bridge, ces 15 dernières années ont vu l’explosion de la fiction TV. Même en Suisse romande. Alors que «Le Temps» dresse le bilan de ces 15 ans, analyse d’une montée en puissance

«The Wire», de David Simon, plongée dans les plaies urbaines, et sujet de reconnaissance des séries. — © DR
«The Wire», de David Simon, plongée dans les plaies urbaines, et sujet de reconnaissance des séries. — © DR

Aux Etats-Unis, la période va des Soprano à House of Cards. En France, de Femmes de loi à Versailles. Au Danemark, de la saga historique Krøniken au thriller Bron/Broen (The Bridge). En Suisse romande, 2000 était l’année des Pique-Meurons; dans quelques jours, ce sera Anomalia, le premier feuilleton fantastique helvétique.

Les quinze années qui viennent de s’écouler ont offert aux amateurs un exceptionnel foisonnement de séries TV. Dans le même temps, le genre a acquis un ascendant considérable sur la culture populaire et l’industrie audiovisuelle.

On peut postuler que cette tranche d’histoire télévisuelle a commencé, déjà, en 1993. L’année où apparaît The X-Files, laquelle a haussé le niveau, en termes de production et d’ambitions artistiques. Elle a en outre profité de la popularité croissante d’Internet, qui permet autant le piratage que la consolidation des communautés de fans, par leurs dialogues.

■ Le mouvement majeur de 1999

En 1999, au seuil de la grosse décennie, David Chase offre à HBO son nouveau triomphe qualitatif. Les Soprano semble reprendre le rêve du film définitif sur une certaine Amérique, et le mettre en œuvre au long de ses six saisons, jusqu’au regard final de Tony.

Durant les années qui suivent, l’industrie américaine augmente la cadence et, sous l’effet de la concurrence croissante, elle pousse loin les audaces. HBO, encore elle, soutiendra The Corner puis The Wire, les fictions urbaines de David Simon, qui plongent la caméra dans les plaies de Baltimore.

Lancée en 2002, The Wire va considérablement modifier le regard que les élites européennes portent sur les séries TV. Cette fiction longtemps vue comme bas de gamme, voire comme l’outil de l’impérialisme culturel américain, devient œuvre critique, d’envergure majeure. La litanie des années 2000 sera d’ailleurs celle-ci: désormais, les séries dépassent le cinéma en termes d’audace, de défis narratifs aussi bien que de corrosion sociale. Affirmation sans doute juste, mais qui entretient une compétition entre grand et petit écran n’ayant plus lieu d’être. Les séries ont conquis leur autonomie.

■ Le seuil franchi à l’été 2005

S’agissant de popularité et de reconnaissance, un seuil est franchi en Europe durant l’été 2005. Une année après leur lancement aux Etats-Unis – on tolérait encore, alors, de tels délais –, Desperate Housewives et Lost créent l’événement. Doublé gagnant pour des publics divers, féminins et masculins. Alors qu’au début 2000, le boom, ou le pétard mouillé, de la télé-réalité avait donné à certains experts hâtifs l’idée que la télé changeait, en fait, la loi des séries s’impose.

La fiction sérielle, produit typiquement télévisuel, triomphe. La mécanique s’échauffe aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. En 2005, la BBC reprend Dr Who, l’institution nationale. Son retour marque la montée en puissance des feuilletons.

Au Danemark, on veut revivifier un secteur moribond. Le chef de la fiction de la TV nationale va regarder comment travaillent les Américains, et il en ramène des idées; pas une copie des pratiques, mais un état d’esprit. Il faut sélectionner les projets avec exigence, puis miser sur l’auteur, le laisser déployer son récit par les pistes prévues.

■ Le choc de 2007

En 2007, la diffusion du dernier épisode de Forbrydelsen (The Killing) crée un choc mondial. Toute la branche en parlera, de la Russie à l’Amérique du Sud: la moitié de la population danoise a regardé le final de la série de Søren Sveistrup. Un record fulgurant, qui fait saliver.

Avec Borgen, puis Bron/Broen, qui adjoint les Suédois dans l’aventure – ils proposeront aussi Real Humans –, la fiction du Nord passionne l’Europe et l’Amérique. La Norvège entre dans la danse avec les adaptations de Varg Veum, la balade du mafieux de Lilyhammer, le brillant thriller politico-économique Mammon.

Les Etats-Unis dominent le marché, d’autant que ces dernières années le volume produit a bondi en raison des nouveaux acteurs tels que Netflix et Amazon. Mais la fiction TV explose partout, du Japon au Burkina Faso, de la Corée du Sud à l’Argentine, en passant par le Québec, qui collectionne les réussites. Les Suisses romands veulent à leur tour s’inspirer des Québécois et des Danois: mi-2000, la RTS lance une nouvelle politique de séries, sur concours, en privilégiant une fonction forte de créateur et auteur. Cela donnera 10, CROM ou A livre ouvert.

■ La crise française des années 2000

La France vit une crise. Les auteurs s’autocritiquent tout en fustigeant les diffuseurs, accusés de couardise. On s’ébroue pour sortir du registre Joséphine, ange gardien, mais le navire est lent à la manœuvre. Canal + donne les premiers mouvements, depuis Engrenages, en 2005.

Ces 15 ans ont-ils constitué un âge d’or, et celui-ci s’achève-t-il? Le débat agite encore les spécialistes. Rien n’indique une baisse de régime, au contraire. La vitalité du secteur a un effet d’entraînement, on s’inspire des autres, on se copie, on se remake. L’année 2016 va s’ouvrir avec le retour de The X-Files. Nouvelle recette dans la vieille casserole, mais aussi affirmation de force d’une fiction boulimique.