Ai Wewei raconte le covid à Wuhan
Cinéma
L’artiste chinois a demandé à 12 personnes de filmer les débuts de la pandémie en Chine. De ce matériel brut, il a tiré «Coronation», un documentaire impressionnant. A voir sur le site du FIFDH

Le ciel gris pèse comme un couvercle sur la gare déserte de Wuhan que révèle un plan aérien. Rien ne bouge, l’univers est comme purgé de ses couleurs, les rues vidées de leurs habitants. Seul signe de vie, la lumière de quelques ambulances devant un hôpital. Et on se dit avec effroi qu’un documentaire de 2021 ressemble furieusement aux films de science-fiction du 20e siècle...
En 2017, Ai Weiwei a sorti un premier documentaire, Human Flow, consacré aux flux migratoires. Ce film certes méritoire souffrait d’un handicap: la présence de son auteur. L’artiste chinois s’y met en scène quand il devrait s’effacer derrière son sujet et ce rien d’outrecuidance provoque un certain malaise. Sa deuxième incursion dans le cinéma s’avère autrement acérée et d’une objectivité irréprochable puisque le réalisateur n’a fait qu’organiser depuis son asile européen la matière brute qu’il avait sollicitée en Chine.
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Coronation, soit le «couronnement» en anglais, contracte deux mots, «coronavirus», et «nation», pour raconter l’émergence du virus en Chine. Apparu le premier décembre 2019 à Wuhan, signalé le 31 décembre, le SARS-CoV-2 impose le 23 janvier 2020 un confinement à Wuhan – puis se répand dans le monde entier. Ai Weiwei sollicite douze habitants de la ville fermée à double tour pour filmer leur quotidien. De quelque 500 heures de rushes, il tire la matière d’un thriller sanitaire doublé d’un manifeste humaniste.
Carpes putréfiées
La première séquence suit un voyage de retour après un long isolement sur une autoroute déserte recouverte de neige. Aux stations-service, les contrôles policiers sont aussi réguliers que pointilleux, mais l’humour conserve ses droits: le pistolet infrarouge de température a des ratés (34,2°, ce n’est pas beaucoup...), la préposée finit par retourner l'arme contre elle-même pour vérifier son fonctionnement. Lorsque l’automobiliste rentre chez lui, il découvre que ses poissons n’ont pas survécu à son absence. Les carpes putréfiées dans une eau glauque symbolisent assez justement l’état d’âme d’une humanité amputée de sa liberté de mouvement.
Les Chinois ont réussi à casser la prolifération du virus, mais à quel prix ? En enfermant les gens, en imposant une forme de loi martiale, en multipliant les précautions jusqu’à la paranoïa... C’est à la lance d’incendie que les solutions hydroalcooliques sont administrées. Sur les gens, les poubelles, les jardins et même dans l’air – un camion citerne crache l’hydrogel par hectolitres...
Le personnel soignant se désinfecte longuement les oreilles, les joues, les sourcils avant de tomber le masque. Les médecins portent double masque et visière, enfilent deux ou trois combinaisons hermétiques superposées. Ils sont sous vidéo surveillance lorsqu’ils se changent dans trois salles de décontamination successives pour ne faillir en rien à un protocole maniaque.
Aïeule maoïste
Les mesures sanitaires font des victimes inattendues, comme cet ouvrier venu travailler sur un chantier de Wuhan et qui se retrouve coincé, condamné à vivre dans sa voiture au fond d’un parking sous-terrain en attendant une hypothétique autorisation de circuler. Une aïeule, maoïste un jour maoïste toujours, redit son engagement indéfectible auprès du Parti communiste, rappelle que c’est en travaillant ensemble qu’on peut déplacer les montagnes. Son enthousiasme semble toutefois marquer le pas quand elle comprend qu’il faut avoir un smartphone pour entrer dans un bus et que les autorités facturent l’isolement... La pandémie invalide définitivement le proverbe selon lequel «La mante qui prie peut arrêter un chariot». L’individu, cet insecte, n’est rien face au char de l’Etat.
Les beaux jours reviennent. Wuhan est tiré d’affaire, le virus localement vaincu. Mais l’épreuve a fait des morts et laissé des traces indélébiles. On assiste à d’autres prises de tête avec la bureaucratie pour récupérer les cendres des défunts – sac de jute écrasé, broyé à la main pour entrer dans l’urne... Une jeune femme rappelle que «l’ombre de cette pandémie assombrira nos cœurs pour toujours».
A voir sur le site du FIFDH. «Chine et pandémie»: samedi 13 mars à 19h, le festival propose, en collaboration avec «Le Temps», une visioconférence d'Ai Weiwei.