Elle est austère, la vie de Mary Anning. Sur l’âpre grève de Lyme Regis, Dorset, elle retourne les galets, fouille la falaise argileuse pour dénicher des fossiles susceptibles d’améliorer son ordinaire. Elle vit avec sa mère, une femme âgée sombrant dans la mélancolie. Cette morne routine s’interrompt quand Mr. Murchison pousse la porte de la boutique. Passionné de paléontologie, ce gentleman venu de Londres aimerait acquérir les rudiments du métier. Il est accompagné de Charlotte, sa jeune épouse dépressive.

Pour faire bouillir la marmite, Mary accepte de chaperonner le débutant. Bientôt rappelé par ses affaires, il laisse Charlotte à Lyme, où elle soigne son mal-être avec des bains de mer. Elle prend froid, Mary prend soin d’elle. Leurs solitudes s’entrechoquent comme des silex, le feu de la passion jaillit sous le signe de cette gargouille du trias qu’est l’ichtyosaure, plus ancien que le serpent de la Genèse.

Coquille spiralée

Ammonite s’inspire très librement de la vie de Mary Anning (1799-1847), dont les découvertes – ichtyosaure, plésiosaure, ptérodactyle… – ont marqué d’importantes étapes dans l’invention de la paléontologie. Cette figure historique ne s’étant jamais mariée, le réalisateur Francis Lee (Seule la terre) se sent libre d’émettre l’hypothèse de l’homosexualité, et peu importent les latitudes que s’autorise la fiction, car l’histoire est belle, émouvante et riche en symboles.

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Le sentiment amoureux s’avère semblable aux fossiles qu’on arrache à l’oubli. La coquille spiralée du mollusque céphalopode donnant son nom au film symbolise un mouvement circulaire qui se prolonge à l’infini; c’est le vertige de la passion amoureuse et de son corollaire, le chagrin. Les «fossiles n’éclairent pas seulement le passé mais aussi le présent», estime Mary, femme blessée renaissant à la vie.

Cage dorée

Deux grandes comédiennes donnent vie aux amantes. Pesante, morose, le regard morne, la bouche amère, Mary (Kate Winslet) semble issue de la glaise qu’elle fouit, tandis que la diaphane Charlotte (Saoirse Ronan) aux yeux de myosotis a des grâces de fleur bleue. Toutes deux accusent le poids de la condition féminine: ce sont des citoyennes, des scientifiques de seconde zone. Le mari décide, les savants s’attribuent la découverte des plus belles pièces de Mary. Quant à sa mère, elle a eu dix enfants et huit sont morts. Elle les a remplacés par des figurines de porcelaine qu’elle lave tous les jours.

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En conjuguant nature sauvage et femmes fortes, en donnant à entendre quelques notes de piano, Ammonite s’insère à la croisée de deux films sublimes, La Leçon de piano, de Jane Campion, et Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma. Il brûle toutefois d’un feu moindre.

On peut regretter un dernier acte plus banal quand Mary, conviée à rejoindre Charlotte à Londres, prend peur de la cage dorée que lui offre son amie. La fin est ouverte. Au British Museum, dans un temps suspendu, les deux femmes se font face de part et d’autre de la vitrine de l’ichtyosaure. Départ vers l’uchronie de l’amour fou ou retour à la réalité historique?


Ammonite, de Francis Lee (Grande-Bretagne, 2020), avec Kate Winslet, Saoirse Ronan, Fiona Shaw, Gemma Jones, 1h58.