«Avatar: La Voie de l’eau»: dragons, merveilles et pixels
Cinéma
Le deuxième volet du «space opera» de James Cameron combine ballet nautique et tradition western dans un grand spectacle que desservent la minceur du scénario et l’irréalité numérique

Pionnier de l’imagerie de synthèse, James Cameron a fait reculer les possibles dans Avatar. Ce manifeste 3D a justement sidéré la planète: jamais la science-fiction ne s’était parée d’atours plus somptueux. La forêt où se déroule l’aventure extraterrestre est d’une luxuriance prodigieuse avec ses lézards à hélice, ses méduses aériennes fluos, ses champignons hélicoïdaux, ses prédateurs aux ailes de papillon…
S’il dispose d’une force de frappe inédite, le réalisateur cherche l’inspiration dans la préhistoire du space opera plutôt que dans la géométrie du vivant. Son bestiaire hexapode se réclame des hommes verts que mate John Carter dans La Princesse de Mars (1911) et des dragons qui menacent dans Flash Gordon (1934). A l’instar de George Lucas, qui a puisé nombre d’idées dans la bande dessinée française, l’argument d’Avatar renvoie curieusement à Bienvenue sur Alflolol (1972), une aventure de Valérian dans laquelle, de retour d’une petite villégiature de 4000 ans, des vacanciers découvrent leur planète occupée et ravagée par le complexe militaro-industriel terrien. Il est à noter que les Alfloliens sont des géants à quatre doigts, comme les Na’vis de Cameron, mais de complexion brique plutôt que bleue.
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Le grand modèle d’Avatar, c’est naturellement le western. Cameron rejoue sur Pandora la conquête de l’Ouest, le matérialisme opposé à la spiritualité, l’acier à la plume. Il se réclame de La Prisonnière du désert, de Soldat bleu, de Danse avec les loups, Little Big Man et autres films dans lesquels un colon blanc fraternise avec les Natives.
Eden liquide
Le Canadien Cameron aime l’eau. Il a plongé au fond des mers avec Abyss, avec Titanic et jusqu’à 11 000 mètres de fond à bord du Deepsea Challenger. Avec Avatar. La Voie de l’eau, il retrouve son élément de prédilection, quitte à y boire la tasse. Cloné en Na’vi, l’impitoyable colonel Quaritch revient sur Pandora pour se venger de Jake Sully, le soldat qui s’est rallié à la cause des géants bleus. Pour échapper à la vindicte du soudard, Jake et sa petite famille se réfugient chez les Metkayinas, une tribu vivant dans les mers du sud – un peu comme si Chingachgook le Mohican cherchait l’asile en Polynésie…
James Cameron se sent d’humeur contemplative. Il ne se passe rien, ou si peu dans son film – chamailleries entre gosses, féeries aquatiques parmi les méduses, les diodons, les anémones et tout un fretin luminescent, cavalcades à dos de plésiosaures et de mosasaures aux ailes diaprées. C’est beau, c’est kitsch et complètement new age, Pandora vérifiant avec enthousiasme l’hypothèse Gaïa, rebaptisée Eywa. Mais il n’y a rien de réel à l’écran, juste des pixels.
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Qudritch revient avec des chasseurs de cétacés, ces tulkums géants d’une intelligence supérieure et d’une bonté profonde. Un des fils de Jake Sully marche sur les traces de Jonas et de Pinocchio en entrant dans la gueule du léviathan pour cueillir au fond de la bête une fleur de sagesse. L’éveil spirituel s’efface devant l’autre marotte du réalisateur: la castagne. La guerre embrase l’Eden liquide dans un fracas de détonations et de musique symphonique empreinte de religiosité. Les ennemis règlent leurs comptes au corps à corps comme si Crazy Horse et le général Custer terminaient la bataille de Little Bighorn mano a mano dans un enfer d’eau et de feu mêlés.
Démonstration de savoir-faire technologique, la licence Avatar reste assujettie à un cinéma hollywoodien dont Cameron perpétue candidement les codes, les conventions et la dominante patriarcale. L’éloge de la famille y est soutenu, les fils de Jake Sully donnent du «Sir» à leur père, les chasseresses les plus aguerries ont des soupirs et des œillades de vierges effarouchées. Et les combattants n’arrivent pas à chevaucher leurs dragons d’assaut sans hululer des «Yi-hi-hi» de rodéo.