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Et si des enfants s’affrontaient dans une émission de téléréalité pour espérer être adoptés? C’est le scénario d’une nouvelle websérie romande, réalisée par deux jeunes cinéastes dans le cadre du NIFFF

La scène a des airs d’Hunger Games. Si Katniss avait cédé l’arène à des préados, qui s’affrontent non plus pour gagner la chance de survivre mais… celle d’être adoptés. Dans un monde ravagé par une crise (attaque extraterrestre? Coronavirus foudroyant? mystère), des milliers d’enfants ont été abandonnés par leurs parents désargentés. Squattant les usines désaffectées en périphérie des villes, ces orphelins n’ont qu’une chance de s’en sortir: être choisis par un couple de célébrités. Pour cela, il leur faut remporter une émission de téléréalité brutale, Incroyables Bâtards.
Un doux nom qui inspire aussi son titre à cette nouvelle websérie romande, aux accents satirico-dystopiques. Réalisée par deux jeunes cinéastes dans le cadre du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF), produite par la RTS et Box productions, Bâtards vient tout juste d’être dévoilée sur Play RTS et Play Suisse. On y découvre six épisodes qui mêlent habilement parodie, action et réflexion, menés par un casting majoritairement adolescent, à l’exception de Vincent Veillon.
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«Déterre Challenge»
L’expert des interviews pince-sans-rire de 52 Minutes incarne ici le régisseur d’Incroyables Bâtards – qui a laissé son éthique aux vestiaires. Scotché à son oreillette, celui-ci s’assure avant le direct que les candidats en lice sont bien numérotés – pour Rocky, «tapez 4». Et que chaque épisode compte son lot d’épreuves, suggérées par les téléspectateurs. Ce jour-là, les filles doivent libérer le plus vite possible les garçons, préalablement enterrés vivants dans la carrière boueuse qui fait office de plateau. «Et c’est parti pour le «Déterre challenge!» s’exclame la présentatrice, 12 ans à tout casser sous ses paupières irisées.
On reconnaît d’emblée, parfaitement pastichés, tous les codes de la téléréalité. Bruitages appuyés, témoignages face caméra, voix off condescendante et couleurs saturées évoquent tour à tour Koh Lanta ou la Star Academy. Des terrains connus pour le duo de réalisateurs Malou Briand et Raphaël Meyer, la vingtaine bien entamée, tout juste diplômés du master de scénario à l’ECAL et à la HEAD. «Ces émissions font partie de l’ADN de notre génération, explique Raphaël Mayer. Mais aussi de celui des jeunes d’aujourd’hui, qui continuent d’en consommer, et nous avions envie de faire une série avec et pour les jeunes. Le curseur de l’atrocité, de l’exhibitionnisme et de la bienveillance hypocrite de l’émission a été poussé au maximum pour faire réagir le spectateur. Emballer le tout dans une enveloppe clinquante crée un décalage.»
Timing sportif
Jouant la caricature comme d’autres avant elle (on pense à La Flamme, récente parodie du Bachelor sur Canal +), la série exhibe les dérives malsaines du genre – avant de s’en émanciper heureusement. Candidate favorite du jeu, Mila finit par se rebeller (pas pour les raisons qu’on imagine) et entame une cavalcade digne cette fois d’un scénario hollywoodien. «Avec ce jeu de miroirs, on montre que les rouages de la téléréalité et du cinéma ne sont pas si différents – les deux savent nous embarquer. Vu qu’on s’adresse à des jeunes, on voulait montrer comment se fabriquent les images, les histoires, les émotions qu’on nous présente.»
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Pour donner vie à ce projet pédagogique sans être pédant, lauréat d’un concours du NIFFF soutenant les jeunes talents et la création suisse dans le domaine des nouvelles écritures et des médias digitaux, Malou Briand et Raphaël Meyer ont eu tout juste une année. Un timing sportif, encore davantage en temps de pandémie, ce qui n’a pas empêché le duo de procéder à un casting étendu – entre Genève, Lausanne, le Valais et la France voisine. «C’est génial de travailler avec des ados, ça nous oblige à parler plus simplement, concrètement, soulève Raphaël Meyer. Et ils nous ont aidés à ne pas écrire de dialogues «de jeunes» à côté de la plaque!»
Futuriste, Bâtards n’en reflète pas moins leur réalité bien actuelle. Lors de sa fuite, Mila ne lâche pas son portable et ses millions de followers, qui la bombardent de stories assassines. Il ne faut pas compter sur l’apocalypse pour soigner nos addictions numériques…
Bâtards, websérie en six épisodes de 7 mn, disponibles sur Play RTS, Play Suisse et YouTube.