«La Belle et la Bête»: Disney à l’assaut de ses classiques
Cinéma
Les studios poursuivent leur entreprise de remakes de leurs grands dessins animés. Signé Bill Condon, «La Belle et la Bête» se révèle plutôt plaisant

On ne le sait que trop bien, lorsque les grands studios hollywoodiens ont trouvé un filon, ils l’exploitent jusqu’au bout. Comme ils n’hésitent pas, souvent, à sacrifier leurs ambitions artistiques sur l’autel de la rentabilité. Il en va ainsi des films de super-héros labellisés Marvel et DC Comics, comme des (trop) nombreux remakes des succès du cinéma d’action et d’épouvante des années 1980-1990, un moyen pour les producteurs d’économiser des salaires de scénaristes.
Disney, outre son rachat de l’écurie Marvel, a trouvé un nouveau moyen de se garantir des bénéfices colossaux sans devoir se fatiguer à réinventer le cinéma. En 2010, Tim Burton signait avec «Alice au pays des merveilles» la première relecture en prises de vue réelles d’un des classiques animés de la société fondée en 1923. Malgré un accueil critique tiède, les producteurs ayant passablement canalisé la folie baroque du réalisateur américain, le film a rapporté plus d’un milliard de dollars à travers le monde pour un investissement de 200 millions. L’affaire était entendue, ce remake serait le premier d’une longue série. Avec ce double avantage: séduire les générations qui ont grandi aux rythmes des sorties des productions, et en même temps séduire un nouveau public afin de relancer les ventes de DVD.
Comédie musicale
Après «Alice», on a eu droit à «Maléfique» (qui était non pas un remake, mais une adaptation de «La Belle au bois dormant» du point de vue de la méchante reine), «Cendrillon», puis récemment au «Livre de la jungle». Autant de films avec de vrais acteurs, certes, mais aussi une forte dose d’images de synthèse, les techniques numériques ayant atteint, vingt-quatre ans après le choc «Jurassic Park», un niveau d’excellence rendant à peu près tout possible. Ce printemps, c’est au tour de La Belle et la Bête – conte classique qui avait déjà inspiré un chef-d’œuvre à Jean Cocteau en 1946 – de retrouver le chemin des écrans et de se profiler, plus encore que les remakes précédents et sous la direction de Bill Condon, comme un blockbuster.
Historiquement, «La Belle et la Bête», version animée, est le long-métrage qui au début des années 1990 a relancé Disney après une décennie en dents de scie. Suite au succès de La Petite sirène, Jeffrey Katzenberg, alors à la tête des studios, décidait de donner une nouvelle impulsion aux longs-métrages dessinés. Après six mois de préproduction, il changeait alors l’équipe artistique afin de donner une tonalité plus sombre à «La Belle et la Bête» tout en l’ancrer plus profondément dans une esthétique XVIIIe siècle. Résultat, le film dépassait le cadre du conte de fées pour fillettes en mal de princes et remportait un succès colossal, devenant même le premier film d’animation à être nommé à l’Oscar du meilleur film.
«La Belle et la Bête» version «live» frappe d’abord par sa grande fidélité envers son modèle. Lorsque Belle chante son envie d’émancipation ou que le lourdaud Gaston se livre à un pitoyable numéro de drague, les deux films se confondent. Ce qui s’explique logiquement par la reprise des mêmes morceaux chantés car, c’était-là l’autre force de la production Disney de 1991, «La Belle et la Bête» est aussi une comédie musicale célébrant un genre fondateur de la mythologie hollywoodienne, et se réclamant ouvertement de Busby Berkeley, Stanley Donen et Vincente Minnelli.
Sous-texte gay
Bill Condon, qui a notamment signé les deux ultimes épisodes de la série «Twilight» avant de s’attaquer avec talent à Julian Assange («Le Cinquième pouvoir») et au détective privé le plus fameux de l’histoire («Mr. Holmes»), assume parfaitement les moments chantés et dansés de son film, et appuie même sur leur côté kitsch, là où le dessin animé avait quelque chose de plus léger. Tout en usant d’une opposition facile entre les couleurs criardes du village de Belle et l’ambiance lugubre du château de la Bête, il trouve toujours le bon rythme et intègre parfaitement les nombreux personnages numériques qui sont au cœur du récit – les fameux chandelier, horloge et théière.
On entend déjà dire que Belle serait une grande figure féministe. N’exagérons pas. Son envie d’être l’unique maîtresse de son destin ne saurait masquer le fait qu’elle reste guidée par ses émotions plus que par sa raison. Un sous-texte gay totalement assumé est par contre plus surprenant de la part d’un studio qui n’a jamais cherché à être progressiste, et qui dès lors a poussé certains pays qui ne rigolent pas avec l’homosexualité à brandir la menace de la censure. Pour le reste, le film de Condon ne révolutionne rien, mais s’avère fort plaisant pour peu qu’on apprécie donc les comédies musicales et, surtout, qu’on ne craigne pas un surplus de guimauve. Et il faut reconnaître au réalisateur un certain talent à mettre en scène la geste amoureuse. Disney lui a d’ailleurs confié les rênes d’un remake de «La Petite sirène», tandis que Tim Burton travaille à un «Dumbo».
Des «Mulan», «Aladdin», «Pinocchio», «Merlin l’enchanteur» et «Fée Clochette» seraient également en chantier. A Disney de trouver des réalisateurs capables, à l’instar de Condon, de susciter un tant soit peu de féerie, ce dont «Le Livre de la jungle» était par exemple totalement dénué.
* La Belle et la Bête (Beauty and the Beast), de Bill Condon (Etats-Unis, 2017), avec Emma Watson, Dan Stevens, Josh Gad, Kevin Kline, 2h09.