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Netflix dévoilera la quatrième livraison de la série anglaise de science-fiction ce vendredi 29 décembre. En quelques années, elle s’est imposée comme l’une des critiques du siècle les plus puissantes

La série anglaise Black Mirror, faite d’histoires indépendantes, a d’emblée marqué son public autant qu’elle l’a divisé. Le créateur Charlie Brooker n’a pas fait dans la dentelle: en 2011, le premier chapitre de cette anthologie, L’Hymne national, raconte l’histoire d’un chantage exercé par les ravisseurs d’une princesse populaire sur le premier ministre britannique, lequel est sommé de s’accoupler avec un porc. Ce qu’il fera.
Le ton est donné. Cette première caricature de notre modernité – les auteurs du rapt recourent aux plébiscites par réseaux sociaux – a fasciné, ou donné la nausée. Cet extrémisme dans la fiction a imposé Black Mirror, ou quand l’écran par lequel on se divertit renvoie un sombre reflet. En sept années, la collection a compté sept épisodes sur trois saisons. La quatrième sera lancée par Netflix le vendredi 29 décembre.
Un pur principe de science-fiction: «Et si...?»
Le principe posé par Charlie Brooker est simple, il tient de la science-fiction la plus pure. Chaque histoire part d’une facette de la technologie contemporaine ou à venir, pour arriver à une conclusion souvent grinçante. Il y a une chasse à l’homme suivie par des citoyens qui brandissent leurs téléphones pour faire des photos, une histoire de soupçon d’adultère à une époque où une puce permet à chacun de revoir tous ses souvenirs, ou une hypothèse selon laquelle les soldats de demain verront leurs ennemis, pourtant bien humains, comme des zombies; la réalité déformée au profit d’une idéologie sécuritaire. Il y a aussi une digression sur le pouvoir des médias dans une campagne politique, ou une superbe fable dans laquelle deux femmes finissent par pouvoir s’aimer dans une réalité virtuelle… après leur mort.
Peu de chose a fuité concernant la nouvelle livraison, de six épisodes. Interrogé en décembre 2016 par Sofilm à propos du caractère subversif de sa création, Charlie Brooker disait: «Sur la saison 3, on a essayé de faire un ou deux épisodes plus positifs, plus feel good, faire en sorte que ce ne soit pas systématiquement horrible et glauque, qu’on puisse exprimer parfois un peu d’espoir. Donc en un sens, peut-être que c’est cela être subversif maintenant; essayer de faire quelque chose qui ne soit pas absolument ironique.»
Toutefois, la quatrième saison est annoncée par la bande-annonce d’un volet réalisé par Jodie Foster, Arkangel, dans laquelle une fillette se fait implanter une puce qui permettra à sa mère de la surveiller. A nouveau, une hypothèse dystopique, une contre-utopie sociale. Ici, la question est: «Jusqu’où ira-t-on pour protéger nos enfants?» On ne se refait pas.
Le précédent «Dead Set»
Avant la déflagration Black Mirror, il y a eu un signe avant-coureur. Charlie Brooker a été journaliste au Guardian, il y intervient encore. Dans les années 2000, il se tourne vers l’écriture et la production télévisuelle. En 2008, il se fait remarquer au-delà du pays avec Dead Set, affreux thriller de zombies qui envahissent la maison où est tournée Big Brother. Avec en plus une touche de registre horrifique, cette mini-série en cinq épisodes donnait un coup de poing dans la télé-réalité et ses exigences. Un premier pas était posé.
Notre critique déjà enthousiaste de «Dead Set».
Certains déplorent l’excès des anticipations à la sauce piquante de Black Mirror. Elles offrent pourtant un regard parallèle à propos d’une époque qui ne manque pas, en elle-même, d’outrances rendues possibles par l’accumulation des forces technologiques. Charlie Brooker et ses quelques complices – il écrit une grande partie des chapitres – ont développé un savoir-faire particulier dans leur manière de repérer les plaies modernes potentielles, et y plonger leur plume.
«Black Mirror» s'inscrit dans une histoire de la SF anglaise
Cette critique par l’anticipation trouve sa place dans l’histoire récente de la culture populaire. La tonalité de Black Mirror rappelle le haut de la vague de la science-fiction critique des années 1970, lorsque l’inquiétude écologiste montait en puissance. Soleil vert, le roman d’Harry Harrison puis le film de Richard Fleischer, illustre cette épouvante froide face aux évolutions du monde, dans ce cas démographiques. La littérature britannique, dans laquelle a sans doute trempé Charlie Brooker, a offert de grands chapitres de l’histoire du catastrophisme environnemental, social, politique ou technologique, avec notamment les œuvres de John Brunner et de J. G. Ballard.
C’est dans cette veine de l’inquiétude exprimée, maximisée, par l’imaginaire que s’inscrit Black Mirror, en renouvelant l’approche à l’heure des réseaux surpuissants, des smartphones omniprésents, du Léviathan informatique. Le trait est bien sûr forcé, c’est le propre de la satire. Mais le créateur et ses acolytes n’ont jamais, jusqu’ici, basculé dans le téléfilm à thèse. Ces joyaux acides de 45 minutes, parfois 90, sont bâtis comme de fortes fictions, avec des personnages riches. Ils ouvrent le débat, mais d’abord, ils captent par leur efficacité.
Ainsi, Netflix a acheté le talent développé dans le laboratoire Black Mirror. La série a d’abord été diffusée sur Channel 4, dans l’environnement télévisuel classique. Au terme de la deuxième saison, la télévision classique ne veut plus trop suivre Charlie Brooker; le géant californien de la vidéo en ligne flaire le bon coup. Et le réalise, avec la saison 3.
2017, année des dystopies triomphantes
La quatrième sera lancée le 29 décembre, comme pour clore une année 2017 qui a été marquée, entre autres, par la vigueur des dystopies, dans la culture comme par ses interférences avec le réel. Le roman 1984 est remonté en flèche dans les ventes de livres quelques mois après l’élection de Donald Trump, comme si, pour ceux qui conspuent le vieillard à la mèche, il fallait chercher à la source de la fiction des outils de résistance.
En matière de séries, The Handmaid’s Tale, d’après Margaret Atwood, avec Elisabeth Moss, a impressionné par sa vision d’un futur où certaines femmes sont ramenées au rang de domestiques reproductrices. Même la championne littéraire française de l’autofiction Marie Darrieussecq s’est fendue d’une contre-utopie, Notre Vie dans les forêts, histoire d’une bannie de la belle vie technologique de demain, laquelle repose sur les robots et surtout les clones.
A ce propos: Notre vie parmi les clones
Les années 1980 à 2000 ont trempé dans une allégresse dorée et confiante, des «doing!» du modem à l’apparition de Facebook, avec un peu de nervosité mais sans panique. Aujourd’hui, des pans du futur font à nouveau peur, et Black Mirror cristallise cet état d’esprit collectif avec génie.
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Trois saisons jusqu'ici, trois épisodes marquant
15 Millions de mérites (1x02, 2011)
Outre l’épisode choc qui a lancé la série, il faut signaler cette redoutable parabole sur les violences du divertissement. Dans un monde où tout le monde pédale afin de produire de l’énergie, une jeune femme veut tenter sa chance dans un télécrochet. Un ami l’appuie, utilisant des crédits dont il a hérité. Mais tout dérape avec des propositions graveleuses des gens de TV, jusqu’à ce que l’ami doive faire un choix moral… Soif de popularité qui ronge ses victimes, dispositifs médiatiques omniprésents et écrasants, futur original: tout Black Mirror se mettait en place.
Le Show de Waldo (2x03, 2013)
Un comédien en dépression anime un personnage de cartoon dans une émission. Waldo devient très populaire, au point qu’il est promené dans les cités, projeté sur une paroi d’un camion, l’acteur installé à l’intérieur et pouvant interagir avec les badauds. Il s’en prend à un politicien en pleine campagne, redoublant de vulgarité dans les attaques, au point que l’interprète de Waldo veut abandonner. Une forte illustration de la facilité à disséminer un populisme façon «tous pourris».
Chute libre (3x01, 2016)
Voilà exposée la dictature des «like». Dans cet avenir-là, les «j’aime» sur le réseau social génèrent une note accordée à chacun et, grâce à la réalité augmentée, tout le monde affiche sa note. La société refuse certains services à ceux qui ont moins de 4, ou 3, ou 2… La perte de popularité conduit à une descente aux enfers sociaux. Ce que vit l’héroïne, laquelle ne demande qu’à se rendre au mariage de sa meilleure amie. C’est caustique et brillant. N’exagérons rien, mais voilà un petit téléfilm qui mériterait d’être montré dans les classes.
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