Situé entre le Niokolo-Koba et l’Urugondolo, le Wakanda est un petit Etat d’Afrique de l'est, refuge des Jabaris rebelles. Jamais colonisé, ce royaume tire sa richesse des mines de vibranium, le fabuleux métal extraterrestre dont est fait le bouclier de Captain America. Si le Wakanda est un des pays les plus développés sur le plan technologique, il a la sagesse de dissimuler ses richesses sous un écran d’invisibilité.

Armure de vibranium

Le roi T’Chaka a été assassiné en 2013, à Vienne. Pour le venger, son fils T’Challa a enfilé son costume de Panthère noire, une armure de vibranium souple aux griffes puissantes, et s’est lancé à la poursuite de l’assassin présumé. Ces événements tragiques sont rapportés dans Captain America: Civil War.

Aujourd’hui, T’Challa (Chadwick Boseman) est de retour au pays. Il retrouve sa mère (Angela Bassett), Shuri (Letitia Wright), sa petite sœur insolente, et se prépare pour la cérémonie du couronnement royal. Réunis autour d’un cirque rocheux au sommet d’une cataracte vertigineuse, les chefs de clan acclament leur nouveau souverain. Ou, comme M’Baku, lancent un défi que le prétendant au trône doit relever. Sorti vainqueur de l’épreuve, T’Challa peut régner en paix. Mais de nouvelles menaces se précisent: dans un musée londonien, Erik Killmonger (Michael B. Jordan) vole une hache traditionnelle wakandienne en vibranium et fomente une révolution…

Un vrai héros

Quel que soit son succès public, Black Panther fera date. Il est le premier film à mettre au sommet de l’affiche un superhéros noir, le premier qui puisse s’enorgueillir d’un casting à 98% noir – juste deux personnages et quelques figurants blancs. Il a bénéficié du plus gros budget (200 millions de dollars) jamais alloué à un film dont le héros n’est pas Blanc.

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Dans le panthéon bariolé des superhéros, Black Panther tient une place à part. Imaginé par les inépuisables Stan Lee et Jack Kirby en plein mouvement des droits civiques, ce héros africain est apparu en juillet 1966 dans le numéro 52 des 4 Fantastiques. Il précède de quelques mois la fondation du Black Panther Party, organisation révolutionnaire d’inspiration marxiste-léniniste et maoïste, aux méthodes violentes. Gêné par le risque de confusion, Marvel a brièvement changé le nom du personnage en Black Leopard, avant de lui rendre son identité.

On peut rire des comics Marvel, mais il ne faut pas minimiser leur impact sur trois générations de kids américains. Venu du cinéma indépendant, le réalisateur Ryan Coogler (Fruitvale Station, Creed) se souvient qu’enfant il cherchait vainement un personnage lui ressemblant. Il a demandé au rayon des comics de son quartier s’il existait des superhéros noirs et découvert T’Challa. «Ce n’était pas un faire-valoir, mais un vrai héros qui n’avait besoin de personne pour exister et agir, explique-t-il dans L’Ecran fantastique. Plus tard, j’ai pris conscience de tout ce que Black Panther symbolisait si bien par rapport à mon identité afro-américaine.»

Rhinocéros de combat

Créé dans la foulée du mouvement culturel Black is Beautiful, qui soulève les années 60, Black Panther accède aux honneurs du blockbuster dans la mouvance de Black Lives Matter, qui se mobilise contre le racisme systémique dont fait l’objet la population africaine-américaine. Il est vrai qu’ils sont beautiful, ces comédiens: Chadwick Boseman, au charisme impressionnant, qui a incarné James Brown dans Get on Up; découverte dans 12 Years a Slave, transformée en champignon à lunettes pour tenir le rôle de Maz Kanata dans Star Wars, Lupita Nyong’o est d’une beauté qui pétrifie l’impavide homme panthère; révélé par Fruitvale Station, l’élégant Michael B. Jordan a été le jeune boxeur entraîné par Rocky Balboa dans Creed; l’impérieuse Angela Bassett a joué Tina Turner dans What’s Love Got to Do With it. Sans oublier Daniel Kaluuya, le dindon de la farce dans Get Out, en chef des armées…

Le conflit entre T’Challa, épris de justice, et Killmonger, ivre d’un désir de revanche, renvoie à l’opposition des deux grandes figures du mouvement pour les droits civiques, Martin Luther King, l’apôtre de la non-violence, et Malcolm X, l’adepte de la lutte armée. L’action emmène les personnages des laboratoires souterrains du Wakanda jusqu’aux casinos de Busan, où se déroule une scène évoquant 007-Skyfall. Vaincu, dépossédé de son trône et des superpouvoirs que confère «l’herbe en forme de cœur», T’Challa va revenir d’entre les morts et retrouver son rang au terme d’une grande bataille mêlant cyber-sagaies, appareils volants et rhinocéros de combat. Ce bruyant morceau de bravoure s’avère aussi fastidieux que la guerre contre les dix mille robots d’Ultron ou la superbagarre de Civil War

Morale savoureuse

Le premier «blackbuster» laisse le regret de ne pas bénéficier d’un scénario plus original. Et de manquer d’humour. Quand Thor fait le clown avec Hulk sur une planète dingo, on hurle de rire. Black Panther comporte un bon gag (M’Baku fait croire à l’agent pâlot de la CIA qu’il est cannibale), mais tend à se draper dans une solennité très éloignée des badinages d’Iron Man. La dignité africaine est-elle incompatible avec l’humour? Quant à l’esthétique africaniste, n’est-elle pas un rien excessive? Les rhinocéros de combat font-ils sens dans une nation maîtrisant des technologies prodigieuses? Elon Musk construit-il des chars tirés par des chevaux ailés pour aller sur Mars?

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La morale est savoureuse: devant l’assemblée des Nations unies, le roi T’Challa annonce que le Wakanda va faire profiter le monde de ses avancées scientifiques. L’Afrique venant à l’aide l’Occident… Davantage qu’une amusante pirouette, c’est l’amorce d’une méditation sur l’émergence du continent noir. Et un rappel de tout ce qu’on doit déjà au berceau de l’humanité.


Black Panther, de Ryan Coogler (Etats-Unis, 2018), avec Chadwick Boseman, Michael B. Jordan, Lupita Nyong’o, Daniel Kaluuya, Letitia Wright, Angela Bassett, Forest Whitaker, Martin Freeman, 2h14.