C’est l’un des films indiens les plus chers de l’histoire, et même le plus onéreux en langue hindi. Sorti fin janvier, Padmaavat rafle la mise au box-office indien ces jours, malgré les boycotts communautaires et régionaux. Car ce film réussit à s’attirer les foudres des musulmans autant que celles de nombreux hindous. Un record d’animosité dans un pays qui peut être vu comme un miracle de multiculturalisme, ou comme une poudrière religieuse.

Une princesse volage?

Inspiré par les textes d’un poète soufi de 1540, Padmaavat raconte l’histoire d’une princesse rajput du XIIIe siècle. Les Rajputs forment la population majeure de plusieurs régions du nord du pays, dont l’actuel Etat du Rajasthan.

Padmaavati tombe amoureuse d’un jeune homme qui devient maharadja. Mais elle est aussi convoitée par un sultan du nord-ouest, l’actuel Afghanistan. Lequel ne recule devant aucune violence, au point de prendre d’assaut la citadelle du couple hindou. Ultime acte de désespoir, la princesse et les femmes du château finiront par s'immoler par le feu.

Des attaques avant même la sortie

Avant même de sortir sur les écrans, Padmaavat a déchaîné les passions. Les musulmans fustigent le traitement infligé au personnage du sultan. Les descendants des Rajputs protestent contre la représentation de la princesse, jugée dévergondée. Et pour compléter le tout, des modernistes estiment que le film se révèle honteusement patriarcal, dans son portrait de l’héroïne.

L’un des plateaux de tournage dans le Rajasthan a été vandalisé. Le réalisateur Sanjay Leela Bhansali, naguère auteur de Devdas, a été agressé puis menacé de mort. Menaces aussi à l’égard de l’actrice vedette Deepika Padukone – au reste, toujours aussi charmante que depuis Om Shanti Om il y a dix ans.

Avant la sortie du film, d’abord prévue en décembre, des émeutes parfois violentes ont éclaté dans plusieurs villes. L’affaire s’est politisée, en particulier quand des membres du BJP, parti de centre droit nationaliste hindou au pouvoir, ont appelé au boycott du film. Les élections fédérales ont lieu dans une année.

Au fond, c’est une belle histoire d’amour

Le film a été acheté pour une diffusion cinéma mondiale par Paramount et a été acquis par Amazon pour le streaming. On a vu Padmaavat dans un cinéma de Bombay un vendredi soir. Une salle bien remplie mais pas pleine, fréquentée par toutes les générations, des nourrissons moyennement attentifs aux aînés passionnés. Le film, de près de trois heures, paraît plus bavard que la moyenne bollywoodienne. En dépit de son budget historique, il souffre de certains effets spéciaux un brin cartoons. Et en effet, le sultan est caricaturé dans le registre diablotin sur ressort, sans aucune nuance.

On voit par ailleurs une belle histoire d’amour – certainement pas mâlo-centrée, le maharadja est en adoration constante et l’héroïne est tout sauf bécasse. En sus, la superbe musique générale de Sanchit Balhara (les chansons, elles, sont du réalisateur) conduit à un final glaçant et inoubliable.

Dans une longue interview à l’Hindustan Times il y a quelques jours, Sanjay Leela Bhansali s’est dit «vidé, exténué. Tout mon corps me fait mal, même mes cheveux. Mais je suis content. J’aurais juste voulu un peu plus d’amour dans toute cette aventure. Je suppose qu’avoir eu moins d’amour qu’espéré m’a rendu meilleur réalisateur…» En tout cas, le triomphe est assuré.