Le Festival de Cannes 2023, 76e du nom, est le premier dans un monde sans Jean-Luc Godard (1930-2022). Mais son fantôme est partout. Même si les manifestations contre la réforme des retraites n’ont pour l’heure pas perturbé le plus grand rendez-vous cinématographique du monde, on se souvient par exemple du festival 1968, lorsque «JLG», avec quelques camarades comme François Truffaut et Claude Berri, bientôt rejoints par Carlos Saura, Milos Forman, Alain Resnais ou encore Roman Polanski, prit la tête d’une contestation qui poussera le délégué général Robert Favre Le Bret à annuler la manifestation après dix jours houleux.

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L’esprit de Mai 68 avait finalement triomphé, ce même esprit qui est au cœur de la filmographie godardienne. Car le cinéma du Rollois est un cinéma de contestation, d’expérimentation. Afin de célébrer sa mémoire et son influence majeure sur le cinéma moderne, la section patrimoniale Cannes Classics a proposé dimanche après-midi la première du documentaire Godard par Godard, de Florence Platarets, entièrement constitué d’images d’archives, avec comme guide le cinéaste lui-même et quelques-uns de ses interprètes. «Car personne ne parle mieux que lui de son cinéma», estime la réalisatrice.

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Ce cinéma qu’il a empoigné, dit-il, en réaction contre tout ce qu’on ne fait pas. Comme par exemple filmer dans la rue en lumière naturelle, rendre des dialogues inaudibles parce que dans la vie tout n’est pas audible, faire du faux raccord un nouveau langage ou encore permettre aux personnages de s’adresser au public. Dans Godard par Godard, on croise notamment Truffaut, qui a cette analyse très fine: si un peintre ne montre jamais une toile seule, qu’il l’accompagne toujours de plusieurs autres tableaux, il en va ainsi des films de Godard, qui doivent se voir par groupe. «Je ne fais pas des films, je fais du cinéma», disait d’ailleurs le maître.

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Aux côtés de Florence Platarets, Fabrice Aragno est quant à lui venu présenter ce qui restera comme le dernier projet de «JLG». Film annonce du film «Drôle de guerres» est un montage de vingt minutes, validé par le réalisateur, construit autour d’une succession de cartons et images fixes, entre textes et collages, et qui sont comme une ébauche d’un long métrage qu’on ne verra jamais. Après avoir accompagné seul à Cannes les derniers films de celui dont il fut ces vingt dernières années le plus proche collaborateur et confident, car Godard préférait rester à Rolle, quitte à innover en proposant une conférence de presse en mode FaceTime, le Lausannois a eu ces jolis mots: «Cette fois, il n’est plus là, mais il est vraiment avec nous.» Oui, Godard est partout. Parfois sans même le savoir, tous les jeunes cinéastes qui refusent de suivre les manuels lui doivent quelque chose.