Chaque année, à Cannes, on peut se réjouir de découvrir des premiers et deuxièmes films de cinéastes qui vont compter, d’avoir des nouvelles de pays aux cinématographies fragiles, ou de retrouver des grands maîtres qui, film après film, nous enchantent. Ce 76e festival aura aussi été celui des retrouvailles avec un réalisateur unanimement adulé dans les années 1990, et dont les titres ont peu à peu été moins bien distribués et dès lors moins vus.

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Star de la télévision, animateur d’émission totalement débridée, Takeshi Kitano se frottait au cinéma en 1989 avec Violent Cop, un polar sec dans lequel il interprète, dans le sillage du Dirty Harry incarné par Clint Eastwood, un flic vengeur guère prompt à respecter le manuel lorsqu’il s’agit de punir les salauds. A travers des films entremêlant violence esthétisée et poésie (Sonatine, 1993; Hana-bi, 1997), il deviendra rapidement un auteur culte dans les cercles d’amateurs de cinéma asiatique – on est alors juste avant l’explosion du cinéma coréen. Mais il touchera également un plus large public avec Kids Return (1996), sur deux ados faisant des choix de vie opposés, et surtout L’Eté de Kikujiro (1999), sur l’improbable amitié entre un jeune gamin et un ancien yakuza.

Trahisons et combats épiques

En 2003, le Japonais signait avec Zatoichi un fabuleux film de sabre consacré aux exploits d’un guerrier aveugle. C’est alors qu’on perdait quelque peu sa trace… Et voici que cette année il revient par la grande porte avec Kubi, un film présenté hors compétition à Cannes. A voir à la longue et bruyante ovation à laquelle il a eu droit avant même le début de la projection, pas de doute: Kitano fait partie de ces cinéastes cultes qui ont accompagné l’ouverture de nombreux cinéphiles vers d’autres territoires, à l’instar du Hongkongais Wong Kar-wai ou du Taïwanais Hou Hsiao-hsien.

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L’événement était d’autant plus attendu que Kubi est un film de samouraïs, ce genre qui est au Japon ce que le western est aux Etats-Unis. Et c’est une grande fresque à l’ancienne, avec ses trahisons et ses combats épiques, ses figurants par centaines et ses décapitations incessantes, que nous offre Kitano. Avec toujours cette pointe d’humour burlesque qui le caractérise. Cela faisait vingt-cinq ans qu’il rêvait de cette saga mettant en scène, au XVIe siècle, la lutte entre deux généraux, avec en guise de récit parallèle une histoire d’amour tragique entre deux samouraïs. Même si on est parfois perdu face à la multiplication des personnages et des sous-intrigues, ces retrouvailles resteront comme un des grands moments de ce Cannes 2023. Puisse un festival suisse avoir la bonne idée de projeter ce film qui doit se voir sur grand écran.