Cetarticle fait partie d'un cahier spécial réalisé en partenariatavec la Ville de Genève et abordant le thème du numérique et de lacréation digitale dans le monde de la culture.

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Enfiler un casque et se retrouver parachuté au XVIIe siècle, sur le pont du Mayflower – ce mythique trois-mâts sur lequel embarquèrent des chrétiens britanniques, direction le Nouveau-Monde, pour y établir en 1620 la première colonie européenne. Une traversée dans l’histoire qu’ont pu vivre les Genevois au Musée international de la Réforme l’an dernier. Avec, à la barre, un acteur bien local: Artanim, nom qui résonne au bout du lac mais aussi au-delà. Ce centre de recherche figure en effet parmi les pionniers mondiaux de la réalité virtuelle, un savoir-faire dont il fait notamment bénéficier les milieux artistiques, transportant la culture dans des dimensions insoupçonnées.

Il suffit de lever les yeux pour les apercevoir, sur les murs des bureaux d’Artanim à Meyrin: des silhouettes photographiées en combinaisons moulantes, bardées de billes réfléchissantes. Repérés par des caméras infrarouges, ces marqueurs permettent d’enregistrer et reproduire les mouvements de l’individu en temps réel. «Le genre de technologie utilisée dans les films d’animation, de Tintin à Avatar», précise la cofondatrice d’Artanim Caecilia Charbonnier.

Loin des humanoïdes bleus de James Cameron, ce sont les os et les cartilages que scrute d’abord cette chercheuse – capturant pour sa thèse les mouvements des danseuses du Ballet du Grand Théâtre afin de mieux comprendre leur arthrose précoce de la hanche. En 2011, réalisant le potentiel de cette technique encore balbutiante, Caecila Charbonnier lance Artanim avec Sylvain Chagué et Clémentine Lo, issus respectivement de l’ingénierie et de l’infographie 3D. Le but de cette fondation à but non lucratif: la recherche, notamment destinée au milieu médical, mais aussi le partage technologique. «Les outils de capture de mouvement sont onéreux et réservés généralement aux laboratoires de recherche ou d’analyse de la marche en médecine, note Caecilia Charbonnier. Nous souhaitions les faire découvrir à d’autres acteurs et imaginer ensemble de nouveaux usages.»

James Fazy et zoo galactique

Une invention, comme sortie d’un livre de Philip K. Dick, inspirera l’équipe: le casque de réalité virtuelle, qui débarque sur le marché en 2015. Combiné à la capture de mouvement d’Artanim, il ouvre le champ des possibles. En particulier, matérialiser son propre corps dans un monde imaginaire, sous forme d’avatar, mais aussi d’en rencontrer d’autres et même de «leur serrer la main!». Un concept d’immersion 4.0 inédit, présenté au Festival de Cannes comme à Sundance, qui captive immédiatement l’industrie de l’entertainment – et fait briller les yeux d’Hollywood. Des studios Warner Bros au géant MGM en passant par Steven Spielberg lui-même, ils seront nombreux à investir dans ce «médium permettant de n’être plus seulement spectateur, mais aussi acteur de son expérience», lance Caecilia Charbonnier.

En se promenant par exemple (en calèche) dans la Cité de Calvin à l’époque de la révolution fazyste. Réalisée par Artanim et le Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève en 2019 à partir du relief Magnin, célèbre maquette de la ville, et d’un long travail de scénarisation, l’expérience Genève 1850 fascine – et la Maison Tavel qui l’accueille ne désemplit pas. «Les nouvelles technologies sont un bon moyen d’attirer un public plus jeune dans les musées, qui aspirent à se renouveler», se réjouit Caecilia Charbonnier.

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C’est ce genre de sauts dans le passé, mais pas seulement, qu’offre Dreamscape Immersive, start-up sœur d’Artanim spécialisée dans la conception d’aventures virtuelles. Mi-cinémas mi-parcs de loisirs, les centres ouverts par Dreamscape Immersive à Los Angeles (où se trouve son siège), Dallas ou encore Dubaï proposent de plonger jusqu’à huit personnes dans l’univers de Men in Black, du dessin animé Dragon (sur lequel on vole sans décoller de son siège) ou d’un zoo spatial façon Jurassic Park. A chaque fois, les expériences mêlent éléments virtuels et d’atmosphère, comme un sol vibrant ou cette armée de ventilateurs, qu’on découvre dans la salle adjacente. De quoi souffler des bourrasques de vent – et mimer le déplacement, afin d’éviter de perturber l’oreille interne des participants.

Danse de géants

Des expériences qui isolent, chacun sous son masque noir? Au contraire, elles offrent un moment de partage dans un seul espace, en sortant les gens de chez eux, argumente Caecilia Charbonnier. Comme VR_I, pièce réalisée en 2017 et issue d’une collaboration entre Artanim, Gilles Jobin et sa compagnie, durant laquelle cinq spectateurs se retrouvaient à esquisser simultanément des pas de danse… aux côtés de géants.

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Primé à l’international, VR_I incarne ces hybridations fructueuses entre culture et virtuel qui se multiplient aujourd’hui. «Les artistes aspirent à explorer d’autres horizons, et les chercheurs ont besoin des artistes pour emmener leur technologie dans des directions auxquelles ils n’auraient pas songé», sourit Caecilia Charbonnier, toujours à l’affût de nouveaux projets. Pourquoi pas du côté de Genève, où l’on pourrait, qui sait, bientôt embarquer pour quelques mondes imaginaires…