«Le cinquième cavalier»: trois jeunes créateurs font exploser Genève
Fiction tv
Ce vendredi est dévoilée en ligne et au NIFFF la nouvelle websérie de la RTS, qui n'imagine rien moins que l’apocalypse sur la cité de Pierre Maudet. Elle est due à trois jeunes créateurs hors normes. Rencontre

En haut, le fouillis du studio; en bas, le capharnaüm de l’atelier. C’est l’antre de DbFx Workshop et de la société de production Titan Films, dans une zone commercialo-industrielle des Acacias, canton de Genève. Non loin de là, parfois visible par-delà les toits, le siège massif de Rolex trône sur le voisinage. C’est bien Genève, et pourtant, ce qui se passe dans ces vastes salles encombrées de têtes en carton, de maquettes, de matériaux en tous genres, de livres et d’ordinateurs, n’est pas courant en Suisse: il s’agit d’effets spéciaux.
Titan a conçu la websérie Le cinquième cavalier, dévoilée ce vendredi au Festival du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF), et dès 22h sur la Toile et Facebook. La série a été créée par Kennocha Baud et JD Schneider, avec Cédric Chabloz en appui à la réalisation. Couvée et financée en grande partie par la RTS, il s’agit de la deuxième incursion du diffuseur public dans le champ du fantastique pour une fiction en ligne, sur la base d’un concours organisé avec le NIFFF, après la parodie Hellvetia en 2015. Le cinquième cavalier se déroule sur neuf épisodes de sept à huit minutes.
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De l’ordinateur aux maquettes
La Genevoise Kennocha Baud et le Lyonnais Julien Dumont ont créé la société d’effets visuels en 2011. Après des parcours en zigzag – Kennocha a été vendeuse et aide à domicile –, ils s’étaient rencontrés dans une formation de maquillage pour la scène et l’écran, à Layon. Et se sont lancés, travaillant pour des courts et longs métrages ainsi que des publicités. Au studio se composent les effets sur ordinateur: dans les entrailles du local, les pratiques plus rustiques.
Les deux fondateurs de DbFx n’étaient pas nés à la sortie des Dents de la mer, mais ils citent John Carpenter ou Clive Barker, affichent une étonnante adoration pour les effets spéciaux à l’ancienne, avec de la colle et des matières bizarres. «On chérit le côté maquillage et le visuel par concepts. Nous avons grandi avec des films des années 1990, c’est notre culture», lance Julien Dumont. Kennocha Baud précise: «Oui, tout le monde parle des effets par ordinateur. Mais dans certains cas, ils exigent d’énormes ressources, ce sont de fausses économies. Notre force est d’avoir une chaîne, depuis l’atelier, les travaux matériels, et le studio avec l’informatique. Un circuit complet.»
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Une série qui raconte l’apocalypse sur Genève
Le cinquième cavalier commence de manière musclée. Un éminent politicien est devenu fou, il s’est retranché dans sa villa genevoise – mais ce n’est pas Pierre Maudet de retour de voyage – et il menace de tout faire sauter. Intervention blindée de la police genevoise, qui tourne mal. Dans la cave du ministre, les assaillants découvrent de mystérieux cadavres, qu’ils amènent au crématorium avec ordre de les faire disparaître. L’employé, curieux, cache les reliques, ce qui va conduire, pour faire simple, à l’apocalypse sur Genève.
Pour illustrer leur propos, les trois complices évoquent le super-collisionneur du CERN, le LHC. Bien sûr, il n’échappe pas à la fin du monde – pourquoi se priver des charmes locaux? JD Schneider raconte: «Pour faire une scène dans le tube, comme nous ne pouvons pas y aller, il y a deux options. Le composer par logiciel prendrait un temps énorme. Nous avons réalisé une maquette d’un tronçon, et cela nous a permis de réaliser les plans en une journée. En animation, cela n’aurait pas été possible dans un tel délai.»
L’espoir d’une vente internationale
Les vieux trucs au service d’une ambition sans limites. Lorsqu’ils ont résumé le projet à la RTS, les trois auteurs ont frappé par leur énergie. Ils n’y croyaient pourtant pas une seconde: «Quand j’ai reçu le coup de fil de la RTS, je préparais ma réponse avec l’annonce négative», glisse Julien Dumont. La chaîne publique investit 160 000 francs dans Le cinquième cavalier, et les producteurs ont trouvé d’autres soutiens, dont l’aide régionale Cinéforom. Au total, environ 250 000 francs, à peine plus du quart d’un épisode d’une série télévisuelle ordinaire de la RTS. Celle-ci n’est pas propriétaire de la série. Les jeunes producteurs ont la possibilité de la vendre à l’international – pour l’heure, sur le web, elle ne sera pas visible en dehors de Suisse. Et ils comptent bien jouer cette carte, «nous pensions à la vente internationale dès le début», dit Kennocha Baud.
Dans la RTS, tout est bon
Avec des moyens pareils, le système D est constant. JD Schneider nous parle à côté de la maquette du bout de LHC: elle est modeste. Le trio a utilisé «tous les recoins» de la tour de la RTS, note Kennocha Baud, en reconstituant même les bains des Pâquis dans le studio 4 – il faisait trop froid et gris pour tourner en extérieur. La maison du politicien fou est celle déjà utilisée dans Quartier des banques. Le tank de l’intervention choc de la police vient de Cointrin.
Notre article et critique au lancement de «Quartier des banques».
Les trois créateurs ne viennent pas des circuits classiques, cinéma, Office fédéral la culture, etc. Ils assument ce statut de francs-tireurs, ils rêvent à voix haute que Netflix achète le concept du Cinquième cavalier pour l’adapter à New York, disent vouloir susciter «un élan», au-delà des chapelles. Et sans barrières: en parallèle, Julien Dumont conduit un projet de longue haleine, une grande saga documentaire des missions Apollo. Les trois complices pensent par ailleurs à l’étape suivante, une série classique, également dans le genre fantastique. Genève est ravagée, mais pas abattue.
«Le cinquième cavalier». Ce vendredi à 19h au NIFFF, et sur www.rts.ch/5ecavalier
Trois points forts des débuts du NIFFF
«Hereditary»: le film de l’Américain Ari Aster, sur un difficile héritage dans une famille bien trouble, est déjà désigné comme le long métrage fantastique de l’année. Il est dévoilé en première internationale samedi à 22h, en présence du cinéaste.
Nouvelle-Zélande: la rétrospective forme cette année une originale monographie du pays de Peter Jackson, avec un corpus bien fourni de 18 films. Table ronde le dimanche à 16h.
«Vertigo» et «The Green Fog»: doublé possible lundi soir pour les amoureux de San Francisco, sur l’open air, place des Halles. Le festival montre l’étourdissant Vertigo d’Alfred Hitchcock, avec Kim Novak et James Stewart au pied du Golden Gate; puis viendra The Green Fog, du roi des expérimentations canadien Guy Maddin, qui réalise, par le biais d’un grand montage, un hommage à San Francisco.