Cinéma
Adoubée au festival du film documentaire de Nyon, la réalisatrice française y évoque son œuvre et son art

Au commencement, il y a un visage de fillette endormie. La suite est comme le cauchemar qu’elle fait. Dans Récréations (1992), Claire Simon s’aventure dans ce recoin de la jungle urbaine qu’est une cour d’école et, caméra à hauteur d’enfant, elle observe les jeux des têtes blondes. «Je ne suis pas une institutrice. Tant que le sang ne coule pas, je n’interviens pas.»
Les gosses s’en donnent à cœur joie, à cinq sur un, et on ne s’arrête qu’à la première larme – «Quand il pleurera, on arrête la bataille!» lance le meneur. La réalisatrice, cette «vieille enfant» assumée, filme les jeux d’enfants comme elle entrerait dans «le mental d’un philosophe: si on veut réfléchir à l’humanité, rien ne vaut la cour de récré».
Genres étroitement mêlés
La veille, Claire Simon a été sacrée Maître du Réel à Nyon. Le lendemain matin, elle donne une master class animée par Emilie Bujès, directrice de Visions du Réel, et Lionel Baier, directeur du département cinéma de l’ECAL. En près de trente ans de carrière, la cinéaste et enseignante à la Fémis a réalisé une vingtaine de films, fictions et documentaires, parfois étroitement mêlés comme en attestent Géographie humaine et Gare du nord, deux faces d’une même pièce.
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A travers des extraits de films (Tandis que j’agonise, 800 km de différence/Romance, Le bois dont les rêves sont faits, Le concours…) témoignant d’une curiosité polymorphe, puisqu’ils mènent des amours adolescentes aux rituels d’entrée à la Fémis en passant par les usagers du bois de Boulogne, Claire Simon évoque avec modestie l’éternelle source d’étonnement qu’est son métier. Quand les écoliers s’inventent des jeux et des rituels brutaux, elle se dit «c’est un bon scénario».
Réécritures destructives
Persuadée que la banalité contient de la fiction, elle pense que les documentaristes sont «comme les agriculteurs face à la météo, jamais à l’abri», toujours aux aguets. Elle se dit éblouie par la foi des personnes qu’elle filme, préconise de ne pas confondre interview journalistique et conversation cinématographique.
Si elle se fâche, c’est contre les financiers et les décideurs qui détruisent les films de fiction à force de réécritures visant à plaire au plus grand nombre: «Les personnages doivent être sympas, de gauche mais aussi un peu de droite, homosexuels mais pas à 100%…» Elle voue ces intermédiaires au «camp de redressement mental»! Pour avoir la paix, elle tient elle-même la caméra: «Quand on est une fille, il vaut mieux filmer, car c’est ainsi qu’on a le pouvoir...»
Visions du Réel donne à découvrir la dernière réalisation de Claire Simon, The Village/Work in Progress, dix épisodes d’une série documentaires (jeudi 19 à 10h15, vendredi 20 à 10h).