Dans la torpeur de l’été, dans un coin paumé du Kosovo, trois filles s’ennuient. Qe (Flaka Latifi), la cheffe de bande, la pimpante Li (Era Balaj) et la mélancolique Jeta (Uratë Shabani) se retrouvent sur la colline et regardent le soir qui descend sur la bourgade. Elles ont la lionne pour totem, elles lui empruntent son rugissement pour exprimer leurs frustrations, leur colère, leurs grandes espérances. Cet été-là, le trio est rejoint par Lena, une concitoyenne qui a eu la chance d’émigrer à Paris.

Cette étrangère parmi les siennes est interprétée par Luàna Bajrami, qui signe à 20 ans son premier long métrage. Comme actrice, elle a notamment tenu le rôle de la domestique dans le fabuleux Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. On l’a aussi vue dans Les 2 Alfred de Bruno Podalydès et sera à l’affiche de Coupez!, de Michel Hazanavicius, le film d’ouverture du prochain Festival de Cannes.

La jeune réalisatrice a des idées, de l’énergie et du style. En quelques plans, Jeta assise pensive dans un cimetière, quatre copines alignées sur un muret, une moto qui s’en va tandis qu’un chant monte de la mosquée en arrière-plan, elle fait sentir l’ennui, cette composante de l’adolescence – ainsi qu’un malaise plus profond, lié à l’ordre patriarcal.

Mâles prérogatives

Qe est confrontée à la brutalité d’un père qui a la main lourde. Jeta vit avec un oncle dont elle redoute les avances. Une ellipse résume cette tension: le champ montre la porte que secoue l’abuseur, le contrechamp, la fenêtre ouverte: l’oiseau s’est envolé. Le copain de Li a maille à partir avec des voyous qui molestent et menacent les filles. L’avenir se ferme quand, à nouveau recalées, elles rentrent en conflit ouvert avec un pion fier de ses mâles prérogatives. Désespérant de pouvoir entrer à la fac, les lionnes se font voleuses.

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Remarquable dans sa première partie, qui prolonge la thématique du film Hive de Blerta Basholli, La colline où rugissent les lionnes marque le pas dans la seconde, qui renvoie à ces mètres-étalons du film féminin que sont Bande de filles, de Sciamma, ou The Bling Ring, de Sofia Coppola. Le gang fracture à coups de marteau les vitrines des bijoutiers, fait rugir le moteur de la Jaguar, mène la vie de palace, goûte au bain de minuit… Et histoire de fracasser tous les tabous, Jeta et Qe s’essayent à l’homosexualité.

«Notre seule erreur est d’être revenue dans la merde», relève in fine Qe. Le dernier plan, abrupt, insolite, macabre, découvre les visages ensanglantés des trois filles alignées dans une baignoire. Vivantes, mortes? Tabassées? Décapitées?

La colline où rugissent les lionnes (Luaneshat et kodrës), de Luàna Bajrami (Kosovo, 2022), avec Flaka Latifi, Uratë Shabani, Era Balaj, 1h23.