«Contradict», manifeste pour l’Afrique de demain
Documentaire
Sur les écrans de Suisse romande déboule un ovni cinématographique passionnant. Documentaire conçu et réalisé par deux metteurs en scène alémaniques en collaboration avec des artistes ghanéens, «Contradict» est à voir absolument

«Aidez l’Amérique, oh Aidez l’Amérique! Nous n’avons pas de problème ici. Les Américains eux souffrent!» scandent les deux rappeurs ghanéens de FOKN Bois arpentant les rues d’Accra, un énorme bidon de collecte à la main. Telle est l’une des scènes d’ouverture du film Contradict. Vous ne suivez pas? C’est normal, c’est exactement l’effet que souhaitent créer Thomas Burkhalter et Peter Guyer, les deux coauteurs alémaniques de ce film, en forme d’ovni cinématographique. Montrer un autre visage de l’Afrique, lutter contre les idées préconçues, multiplier les points de vue: tels sont leurs crédos.
Résultat: un documentaire qui envoie du lourd. D’abord parce qu’il ose prendre à rebrousse-poil pas mal de sujets dont on préfère ne pas trop parler à propos de l’Afrique christianisée, comme l’influence grandissante des églises évangélistes et de leurs prédicateurs stars, le fléau du blanchiment de la peau avec une splendide scène-clip dans laquelle la chanteuse Adomaa vante la beauté d’une peau noire… Cherchant à véhiculer les idées plutôt qu’à imposer leurs points de vue, Thomas Burkhalter et Peter Guyer ont travaillé en immersion avec les artistes et acteurs culturels d’Accra qui osent dire tout haut ce que beaucoup de Ghanéens et d’Africains pensent tout bas. Se croisent dans Contradict plusieurs formations de hip-hop ghanéennes, les FOKN Bois en tête, mais aussi Worlasi, Akan, Mutombo Da Poet, l'animatrice radio engagée Nana Akosua Hanson ainsi que la poétesse Asantewa. Mieux, certains d’entre eux ont réalisé des séquences de ce film-puzzle qui met ainsi en place une forme d’intelligence collective.
Mention spéciale à cette très belle scène, dialogue entre passé et futur, tournée dans la nature avec un musicien traditionnel et un drone. «Parce que nous devions chanter des hymnes protestants dans des tonalités chromatiques occidentales, notre façon de prononcer certains mots a dû être changée, désaccordée en quelque sorte. Les instruments traditionnels ne suivent pas les accords occidentaux. Ils libèrent une partie de notre cerveau. Un avenir africain, ça implique plus de sonorités, moins de mots. De nos jours on parle beaucoup et rien de positif ne se passe. Plus on est calme, plus on peut commencer à réentendre son soi intérieur et trouver sa boussole», explique tranquillement Wanlov the Kubolor, posé dans un décor digne de Black Panther. Comme tous ses frères d’écran, Wanlov a repris la lutte post-coloniale là où la génération de ses parents l’a laissée.
Nouveaux alliés
Aujourd’hui, grâce aux possibilités de production et de diffusion accélérée de leur musique via internet, cette nouvelle communauté d’artistes éveille les consciences africaines et déjoue les préjugés occidentaux même les plus subtils. Elle a trouvé en la personne des deux réalisateurs de Contradict, également ethnologues, journalistes et activistes culturels, leurs nouveaux alliés. «Dans notre monde globalisé, nous avons besoin de nouvelles voix, de nouvelles perspectives et de nouvelles réflexions, en particulier d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine ou d’ailleurs», conclut Thomas Burkhalter, connu en Suisse pour être le fondateur de la plateforme internet Norient.com, qui œuvre pour les musiques, le journalisme et les projets multimédias de qualité.
Contradict – Ideas for a New World, de Peter Guyer et Thomas Burkhalter (Suisse, 2020), 1h30.
En salle à Lausanne (Zinéma), Genève (CDD) et Neuchâtel (Minimum). Projections spéciales à Bulle, Morat, Orbe, Payerne, Chexbres, Le Sentier et Martigny dans le cadre du programme Ciné-Doc.