«La Daronne», dealeuse voilée de mystère
Cinéma
Une traductrice de la brigade des stups arrondit ses fins de mois en vendant du shit dans une comédie noire aux saveurs douces-amères

Patience Portefeux (Isabelle Huppert, en pleine forme) parle couramment arabe. Elle travaille pour la police, traduisant les mises sous écoute des trafiquants et leurs interrogatoires. Elle entretient aussi une tendre relation avec son patron, le commandant Philippe (Hippolyte Girardot, tout en nuances). Elle s’avère moins respectable et moins sereine qu’il n’y paraît. Elle a des soucis financiers et sentimentaux: elle n’en finit pas de rembourser les dettes de feu son escroc de mari et de payer l’EHPAD où sa mère s’éteint doucement.
Elle bascule du côté obscur de la loi le soir où elle comprend que le dealer dans le collimateur des stups est le fils de Khadidja, l’aide-soignante toute dévouée à sa mère. Elle parvient à faire capoter la livraison. Elle s’aventure un peu plus loin sur la pente du crime en récupérant la cargaison, une tonne de résine de cannabis.
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Chien renifleur
Avec une abaya, des foulards et une touche de khôl, elle compose une créature orientale passe-partout. Sous le masque de cette Fatima de l’ombre, elle approvisionne en haschich deux petits dealers au QI de bulot. «Fini la galèrance», se réjouit le plus dodu des deux. La thune coulant à flots, les ennuis ne tardent pas à se préciser. Les gros trafiquants et l’équipe de Philippe cherchent à mettre la main sur «La Daronne», comme le milieu l’a surnommée. Les premiers pour récupérer leur marchandise, les seconds pour mettre fin aux agissements criminels de l’énigmatique moukère.
Jean-Paul Salomé n’est pas un foudre de guerre. En témoigne une filmographie entachée de gros machins ratés tels Belphégor, le fantôme du Louvre avec Sophie Marceau ou Arsène Lupin avec Romain Duris. Bonne surprise: La Daronne s’avère excellent. La qualité du livre d’Hannelore Cayre n’est pas étrangère à cette réussite. L’écrivaine, par ailleurs avocate, scénariste (A trois on y va, marivaudage burlesque) et même réalisatrice (Commis d’office, avec Roschdy Zem), a finement participé au travail d’adaptation.
Comédie policière sachant panacher l’humour noir, une touche surréaliste et une ombre de mélancolie, le film dessine de savoureux personnages comme Madame Fo, la voisine chinoise, syndique d’immeuble et combinarde de haut niveau, Scotch et Chocapic, les dealers pas futés, les filles de Patience et bien sûr le commandant Philippe, gardien de la morale forcé de perdre quelques illusions. Sans oublier le chien renifleur qui accompagne efficacement «La Daronne» dans ses négoces. Le passé de Patience, grandie en marge de la loi dans une famille modianesque, est suggéré par touches légères. Les occasions de rire abondent, mais en fin de compte, les petits Chamonix orange laissent un goût amer.
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La Daronne, de Jean-Paul Salomé (France, 2020), avec Isabelle Huppert, Hippolyte Girardot, 1h46.