Cinéma
«Le Petit Prince» fait l’objet d’un long-métrage à moitié honorable. Pas facile de traduire en images le verbe poétique de Saint-Exupéry. Les ayants droit de l’écrivain veillent jalousement sur ce livre qui vaut de l’or

Dessine-moi un mouton 3D
Cinéma «Le Petit Prince» fait l’objet d’un long-métrage à moitié honorable
Pas facile de traduire en images le verbe poétique de Saint-Exupéry
Les ayants droit de l’écrivain veillent jalousement sur ce livre qui vaut de l’or
La ville est grise et l’avenir aussi. La Maman a pour la Petite Fille de grandes ambitions: qu’elle devienne une irréprochable businesswoman. Elle a préparé pour sa fille un «plan de vie», un tableau millimétré dans lequel tout est minuté. L’enfant va passer l’été dans d’épais volumes gris.
La maison d’à côté, biscornue et colorée, met une touche discordante dans cet univers orthogonal. Un vieil original y vit, bricolant un aéroplane déglingué. La Petite Fille s’aventure dans l’univers mitoyen. C’est un jardin extraordinaire, plein de fleurs, d’oiseaux et d’art brut, avec un gramophone qui fait entendre «Boum!» de Charles Trenet. L’Aviateur, grand-père fantasque à barbe fleurie, lui raconte une vieille histoire, lorsque son avion s’était écrasé dans la Sahara et qu’un petit bonhomme blond vint lui demander de dessiner un mouton…
Depuis sa parution il y a 70 ans, le succès du Petit Prince ne s’est jamais démenti. Il a inspiré de nombreuses adaptations radiophoniques ou théâtrales, des opéras, des comédies musicales, une bande dessinée de Joann Sfar… Le premier ballet classique, Le Petit Prince Ballet, vient d’être créé à Albi.
Du côté de l’image qui bouge, on peut signaler un musical de Stanley Donen en 1974 ou le court-métrage en pâte à modeler de Will Vinton en 1979, mais aussi une abominable série d’animation, qui drague sans vergogne la génération Pokémon.
Dans les années 40, Orson Welles avait acheté les droits d’adaptation du Petit Prince et vainement proposé à Walt Disney d’en tirer un dessin animé. Quant aux producteurs du film actuel, ils ont approché Hayao Miyazaki. Plein de sagesse, le maître japonais a répondu qu’il ne pouvait «apprivoiser» le chef-d’œuvre.
Mark Osborne (Bob l’Eponge, Kung Fu Panda) n’a pas eu cette pudeur, mais une «idée brillante» permettant d’étirer le bref conte au format d’un long-métrage: filmer le «point de vue» que chacun a sur le livre à travers la Petite Fille. Il a créé ce personnage en s’appuyant sur les Lettres à l’Inconnue que Saint-Exupéry adressait à une jeune ambulancière croisée dans un train en Algérie.
Réalisée dans une image de synthèse 3D tout à fait lisse et professionnelle, l’histoire dans laquelle est enchâssée celle du Petit Prince est supportable, même si le contraste entre le monde gris des adultes et le monde coloré de l’Aviateur est lourdement souligné (Jacques Tati est autrement subtil dans Mon Oncle…) et que le réalisateur tire à la ligne avec de vaines anecdotes et des instants de fausse poésie, vraie mièvrerie comme l’apparition du papillon bleu…
Pour le récit de l’Aviateur, une autre technique d’animation est utilisée. Après avoir découvert à la Morgan Library de New York les dessins originaux de Saint-Exupéry, réalisés sur du papier à cigarette, Mark Osborne a l’idée de traduire cette fragilité en stop-motion de papier animé. Ces séquences sont de loin les plus réussies, les plus délicates. La queue du Renard, flamberge translucide, a des grâces d’aile de libellule. Les roses en papier de soie, les astéroïdes en papier mâché montrent des irrégularités pareilles à celles des illustrations de Saint-Exupéry.
Curieusement, le Petit Prince ne visite que trois planètes. Celles de l’Ivrogne (pas d’alcool dans les produits pour la jeunesse?), de l’Allumeur de réverbères (un métier qui n’existe plus?) et du Géographe (?) sont escamotées. Quant au Roi, au Vaniteux et au Businessman, leurs répliques sont coupées. Ces trois-là reviennent toutefois dans la dernière partie, celle qui gâche tout.
Parce que, fatalement, le produit finit par partir en vrille. La Petite Fille saute dans le Latécoère rouge et, accompagnée du Renard en peluche (très joli, bientôt dans les points de vente autorisés), elle rallie un planétoïde hyperurbain où vivent des adultes gris et où le Businessman, tel un savant fou de cartoon, a capturé toutes les étoiles.
Elle retrouve le Petit Prince. Comme le Peter Pan de Spielberg dans Hook, l’enfant blond a grandi, tout oublié. Dadais adolescent, il ramone les cheminées de l’usine à transformer les objets poétiques en objets utilitaires. Mais, grâce à la petite fille, il retrouve la mémoire, son âme d’enfant et même sa planète. Vision d’apocalypse: l’astéroïde B 612 est dévasté. Les baobabs ont tout envahi, les volcans tout brûlé et la Rose est morte. Mais, gna gna gna, l’essentiel étant invisible pour les yeux, l’astre refleurit…
La goujaterie de l’adaptateur se croyant plus malin que l’auteur est intolérable. Si Le Petit Prince, cette «autobiographie discrète» où l’auteur fait le deuil de son frère François, hante des générations d’enfants, c’est parce que, léger comme le sable du temps ou le pétale d’une rose déjà ancienne, il trouve les mots qui guérissent la mélancolie. Longuet, démagogique, clinquant, et finalement outrecuidant, le film 3D, dûment approuvé par les ayants droit de l’auteur, ne durera qu’une saison.
Le Petit Prince (Little Prince), de Mark Osborne (France, Canada, 2015), 1h48. A la Recherche du Petit Prince – Le Making of du film de Mark Osborne, Glénat, 200 p.
L’astéroïde B 612 est dévasté. Les baobabs ont tout envahi, les volcans tout brûlé et la Rose est morte