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Didier Zuchuat, l’Empire des ses rêves

Néo-quinquagénaire heureux, ce Genevois rouvre une superbe salle du centre-ville. Et devient une nouvelle force atypique dans un milieu qui tire la grimace

Didier Zuchuat, enthousiaste et cinéphile, pose devant le James Bond qui ouvrira sa programmation au cinéma Empire. — © Eddy Mottaz
Didier Zuchuat, enthousiaste et cinéphile, pose devant le James Bond qui ouvrira sa programmation au cinéma Empire. — © Eddy Mottaz

C’est un enthousiaste qui s’est donné les moyens d’assouvir ses passions de jeunesse plutôt que de les égarer en chemin. Si Didier Zuchuat, 50 ans, peut rouvrir ces jours-ci les portes de l’Empire mythique cinéma genevois de la rue de Carouge, près de la place des Augustins, le hasard y aura certes joué un rôle, mais la fidélité et la volonté encore plus. Surgi il y a deux ans sur une scène moribonde où la disparition des salles du centre-ville faisait figure de fatalité, l’homme étonne. À lui seul, celui qui a déjà relancé avec succès le Ciné 17 renverse la tendance, faisant mentir les marchands du 7e art les plus catégoriques – ou a court d’imagination? Le Cinerama Empire abrite en effet dès aujourd’hui le festival Tous Écrans avant d’ouvrir officiellement le 11 novembre avec «Spectre», le nouveau James Bond.

Les fantômes qui hantent cette salle fermée depuis quatre ans, ex Art-Ciné et Ciné-Star mais surtout ancien cinéma pornographique dans l’imaginaire des Genevois, sont certes nombreux. Mais celui d’un garçon qui s’y rendait avec une tante au début des années 1970 – découvrant entre autres «Chitty Chitty Bang Bang» d’après Ian Fleming en format 70mm – s’est réveillé au bon moment, empêchant de la voir transformée en vulgaire fitness. «C’est un rêve de plus de vingt ans qui se réalise», soupire Didier Zuchuat, rappelant qu’il s’était déjà intéressé au sort de cette salle en 1995, à la fin de son exploitation spécialisée. Mais un autre plus aguerri, Vincent Esposito, avait fini par retirer les marrons du feu – sans jamais parvenir à rendre la salle rentable.

Cinéphilie galopant

Qu’est-ce qui rend donc notre homme si confiant que lui y parviendra? Sa réussite au Ciné 17, bien sûr, mais aussi son profil atypique, à la tête d’une S.A. sans but lucratif. Car le moteur de Didier Zuchuat, c’est la cinéphilie. «Des amis m’auraient bien vu en politique, mais je ne pourrais pas me consacrer à quelque chose qui ne me passionne pas», sourit-il. C’est que, fils d’un voyagiste et d’une danseuse, il a passé une bonne partie d’une enfance passablement chaotique et solitaire dans les salles de cinéma, à Genève mais aussi Paris et ailleurs.

Déjà ses passages au collège (Sismondi) puis à l’école de commerce (de Malagnou, avec diplôme) semblent surtout marqués par des batailles épiques de ciné-clubs, source d’un goût inattendu pour l’avant-garde. C’est ainsi qu’au sommet du panthéon personnel de ce grand amateur de «mauvais genres», fantastique ou érotique, trônent aussi bien Delphine Seyrig que Gene Tierney! Puis, à 18 ans, c’est l’envol pour Hollywood où ne l’attendent que des petits jobs ennuyeux dans la production. Rien qui vaille Paris, où des connaissances de sa mère l’initient à l’envers du décor: l’équipement technique des salles, sur lequel notre homme est devenu incollable.

De retour à Genève en 1985, il profite de l’essor du marché de la vidéo pour se lancer dans l’importation de VHS, disques laser puis DVD avec sa société Over, qu’il dirige pendant une vingtaine d’années tout en collectionnant lui-même. «Je court-circuitais certaines sorties en salle en proposant des imports américains, ce qui n’était pas illégal. Je me suis retiré juste au bon moment, en 2007, sentant le vent tourner», résume-t-il avec un sourire canaille mais visiblement soulagé d’avoir quitté ce business pourtant lucratif. En parallèle, il développe une autre passion, héritée de son grand-père paternel, qui l’a vu devenir un spécialiste de la flotte de la CGN (Compagnie générale de navigation). Pilier de l’Association Patrimoine du Léman et historien improvisé, il publie articles et plaquettes, se lance avec des mécènes dans la restaurations de ses bateaux historiques, avec à la clé un emploi au Musée du Léman de Nyon.

C’est fort de cette triple compétence – cinéphile, commerciale et patrimoniale – que Didier Zuchuat peut enfin se relancer à l’assaut de l’Empire, réussissant à convaincre les autorités d’empêcher son bradage. Mais les tractations avec le propriétaire des murs, le milliardaire français Claude Berda, traînent en longueur. C’est alors que se présente l’opportunité de reprendre l’ex-Ciné 17, brièvement transformé en cinéma de luxe (l’Astor Film Lounge) par un groupe allemand. Avec des amis de longue date, l’architecte-décorateur Sylvain Prévost, le programmateur Jean-Pierre Grey, le mécène Jamal Zeinal-Zade et le producteur à la retraite Yves Peyrot, réunis dans la société proCITEL S.A., il relève le pari.

Du Cinerama au X et retour

Puis la situation de l’Empire se clarifie, grâce au conseiller administratif Rémy Pagani et à son nouveau règlement relatif aux plans d’utilisation du sol, qui vise à empêcher la disparition de commerces au centre-ville. Avec un loyer maintenu dans les 5000 francs et un investissement entre 1 et 1,5 millions, l’affaire devient jouable. Depuis neuf mois, Zuchuat et quelques compères bénévoles travaillent d’arrache-pied, y sacrifiant leurs week-ends. Tout a été revu pour redonner à la salle son lustre d’antan. Autrement dit de 1967, quand ouvrait (sur les ruines d’un cinéma remontant aux années 1920), le Cinerama Empire, avec une programmation «normale», deux ans avant le début de sa dérive érotique jusqu’au X (en 1981).

Ce n’est pas sans fierté qu’il nous fait le tour du propriétaire, exhibant le premier projecteur numérique 4K de Suisse romande, de la firme belge Barco, muni du meilleur système 3D, et le superbe écran incurvé de 13 mètres de largeur. Le son a été particulièrement fignolé, la moquette s’inspire du «Shining» de Kubrick, le balcon transformé pour accueillir une clientèle «luxe» qui paiera plus cher (contre un prix de base défiant toute concurrence), sans oublier le hall-bar (clé de la réussite du Ciné 17) et les wc («complètement à refaire, vous comprenez…»).

Côté projections, tout sera automatisé, le maître de céans se faisant un plaisir de préparer sa «playlist» hebdomadaire – publicités, bandes-annonces et film parfaitement réglés. Et côté programmation, on commence fort avec «James Bond», Steven Spielberg, «Star Wars» et Quentin Tarantino, pour continuer ensuite avec la crème hollywoodienne. «Mais tout en version originale», précise celui qui goûte peu l’actuel retour du cinéma à ses origines foraines. Sa salle collaborera aussi avec des festivals et accueillera les soirées événement des Cinémas du Grütli. Si son projet marche, les multiplexes n’ont qu’à bien se tenir!

PROFIL

1965 Naissance à Genève

1985 Fonde sa société d’importation-distribution Over Vidéo

1999 Entre au comité de l’Association Patrimoine du Léman

2013 Reprend la gestion du Ciné 17 à la tête de proCITEL S.A.

2015 Relance le Cinerama Empire