«Fanny & Alexandre», l’enfance de l’âme
DVD
Enchantement absolu, accomplissement suprême du cinéma de Bergman, Fanny & Alexandre sort pour la première fois dans une édition DVD française

Une bougie dans la nuit, un parfum de sucre: les Noëls les plus modestes suffisent à éblouir l’âme des enfants. Or «l’enfance a bien entendu toujours été mon fournisseur privilégié», rappelait Ingmar Bergman. Il ouvre Fanny & Alexandre, ce film-testament truffé de références autobiographiques, sur le plus fabuleux des réveillons, celui qui résume et transcende tous les Noëls vécus ou rêvés.
Nous sommes à Uppsala, au début du XXe siècle, dans l’appartement d’Helena Ekdahl. Cette richissime actrice réunit sa famille pour fêter la Douce Nuit. Au sommet de son art, démontrant une sidérante maîtrise de la composition et de la mise en scène, Bergman glisse d’un personnage à l’autre (les trois frères, Oscar le comédien, Gustav le restaurateur, Carl le professeur), enchaîne les tonalités, de la solitude rêveuse d’Alexandre à la sarabande déchaînée, et les registres, du sacré (lecture de la Bible) au profane (troussage de servante), de la joie des enfants à la mélancolie de la vieille actrice… «Il y a tout dans ce film merveilleux, le sérieux, le comique, la comédie, la farce, la tragédie», admire le comédien Erland Josephson (Isak Jacobi). Cette partition inouïe baigne dans la lumière sublime du chef opérateur Sven Nykvist, le maître des rouges.
A l’or sensuel et au pourpre profond succède le noir du deuil et de la pénitence. Oscar meurt – en jouant le fantôme du père dans Hamlet… Sa femme épouse en secondes noces l’évêque Vergerus. Fanny et Alexandre se retrouvent en prison dans un foyer sans chaleur. Alexandre entre en résistance contre ce beau-père qu’il hait. Le ministre de Dieu et le garçon imaginatif s’affrontent sur la question de la vérité et du mensonge. Valeurs ambiguës, comme le note Bergman dans Laterna Magica: «Difficile de faire la différence entre ce qui était le fruit de mon imagination et ce qui était considéré comme réel. Avec un effort, je pouvais peut-être forcer la réalité à demeurer réelle, mais (..) que fallait-il que je fasse des fantômes et des spectres?»
Le troisième acte met en scène Isak Jacobi. L’antiquaire juif s’invite chez Vergerus et, selon Josephson, dévoile au-delà des clichés sur la judéité «une perception nuancée, mystérieuse et tragique de la réalité telle qu’elle s’est approchée des juifs et telle que les juifs l’ont approchée». Arrachés à l’enfer calviniste par un tour de magie, Fanny et Alexandre trouvent refuge dans une arrière-boutique pleine de marionnettes où passe un souffle d’éternité.
Enchantement absolu, Fanny & Alexandre marque l’accomplissement suprême du cinéma de Bergman, et sa fin: ce chef-d’œuvre, qui sort pour la première fois dans une édition DVD française, est le dernier film du maître. Ensuite, il s’est consacré à la mise en scène de théâtre. Il a quand même réalisé sept films supplémentaires, dont En présence d’un clown et Sarabande – mais pour la télévision.
Fanny & Alexandre , Ingmar Bergman (1982). Version cinéma + télévision . Gaumont. Env. 43 francs