Lorsque sa mère décède, Zino part dans le sud de la France rechercher son père, qu’il n’a pratiquement pas connu. A l’école de danse où il travaille, le jeune homme apprend qu’il n’y a pas de Farid à cette adresse. Il se retire tandis qu’on retrouve Lola (Fanny Ardant), ébranlée… Car Farid, vingt-cinq ans plus tôt, a changé de sexe.

Présenté sur la Piazza Grande, Lola Pater, de Nadir Moknèche, qui sort mercredi en salles, raconte les difficiles retrouvailles d’un fils et de son père devenu femme. Zino ressent la métamorphose comme une trahison, une aberration… «Il a un mouvement de rejet, puis il est emporté par l’amour, analyse la comédienne. La force romanesque suscite des questions chez les spectateurs: et toi? tu ferais quoi? Ton pater n’est pas normal, mais il est tellement plus que ça! Avec lui, tu vas rire, t’amuser, il est tolérant, il a l’amour de l’humanité.»

Lola danse

Couverte de fanfreluches comme une danseuse de flamenco, Fanny Ardant reconduit dans ce rôle hors du commun la classe et l’élégance qui sont sa marque. Elle n’a pas eu peur de jouer l’héroïne transgenre. Parce que le film se concentre avant tout sur les rapports du père et du fils, que le personnage de Lola est riche et l’histoire originale. Parce que «je savais que nous n’allions ni vers la caricature, ni vers le grotesque ou le carnaval. Au fond, peu importe d’être un homme ou une femme, si on a un caractère défini, un esprit libre, de la fantaisie et une grande vulnérabilité amoureuse…»
La comédienne a légèrement masculinisé son jeu, osé une forme d’outrance dans la «déambulation orientale. Et puis, on s’aperçoit que le sexe, la nationalité, le métier même sont des appellations qui ne définissent pas vraiment notre identité. On ne sait jamais qui on est vraiment. J’ai vu des photos de transsexuelles beaucoup plus douces que moi, blondes, plus rondes…»

Farid était danseur, Lola l’est toujours. Fanny a toujours considéré la vie comme une danse. Elle n’a toutefois jamais dansé toute seule: elle est trop timide, trop mal dans sa peau pour s’éclater sur la piste en solo. Il lui faut un cavalier, un rituel, un homme qui l’invite. «Même si vous ne savez pas danser la valse ou le tango, l’important c’est d’être entraînée. Une danse, ça dure quoi? Trois minutes vingt? Et c’est comme une petite métaphore de la vie. J’avais adoré Le Bal, d’Ettore Scola où tout est raconté à travers la danse. Elle permet d’exprimer des sentiments au-delà des mots.»

Fanny rêve

Assise face à une théière sur la terrasse de l’hôtel Bellevue, Fanny Ardant parle de cette voix chantante et feutrée qui participe de son mystère. Les intonations vieille France s’amplifient en flambées d’exaltation que relèvent des rires canailles ou enfantins au gré d’anecdotes souriantes et de souvenirs de jeunesse. On se noie facilement dans les yeux noirs de cette diva qui oublie d’être hautaine pour s’amuser d’un rien et revendiquer ses fragilités.

A l’écran, la star transparaît parfois sous le personnage. Il arrive à Fanny d’éclipser Lola. La comédienne compte sur la vigilance du metteur en scène pour cesser d’être elle-même. «On n’est que ce qu’on est. Au théâtre, on s’avance masqué en Lady Macbeth ou en Tartuffe. Pourtant, un soir vous voyez Tartuffe différemment parce que c’est Untel qui le joue. L’archétype est toujours le même, mais un acteur vous permet de percevoir autre chose.»

Certains films m’ont rendue meilleure – je parle de la femme, pas de l’actrice. D’autres ont accru ma part noire

Fanny Ardant

Le héros de La Grande Bellezza, de Sorrentino, croise Fanny Ardant dans la nuit romaine. Dans For This Is My Body, de Paule Muret, Carl Barât grille une clope avec Fanny Ardant. La comédienne est devenue tellement iconique qu’on lui demande de tenir son propre rôle? Elle rit, cherche des alibis. Les deux réalisateurs sont des amis. Paule Muret avait besoin d’une personnalité connue à opposer au guitariste des Libertines. Et, chez Sorrentino, elle est blonde – «C’est comme si ce n’était pas moi», sourit-elle.

La star inspire à Vincent Derlerm une chanson, «Fanny Ardant et moi». Elle est la Madame de «Madame rêve», de Bashung. «C’est un grand honneur. Les chanteurs sont les poètes d’aujourd’hui.» Bashung la conseillait en matière de musique country. Elle aimait beaucoup son humour. «J’avais horreur qu’on m’appelle «la grande dame du cinéma». Je lui demandais: Pourquoi cette expression? Il répondait «Parce que vous êtes grande, Fanny…»

La pluie tombe

En quarante ans de carrière, Fanny Ardant a tourné avec les plus grands réalisateurs. Avec François Truffaut, qui fut son compagnon (La Femme d’à côté, Vivement dimanche), avec Michelangelo Antonioni (Par-delà les nuages), Alain Resnais (La Vie est un roman), Ettore Scola (La Famille), François Ozon (Huit Femmes), Anne Fontaine (Nathalie)… 

Que reste-t-il de cette soixantaine de films une fois qu’ils ont été réalisés, montrés et qu’ils sont partis se reposer dans leurs boîtes et dans l’imaginaire collectif ? «Je crois qu’on ne sait pas. Ils sont un peu comme la pluie. Elle tombe et on ne sait pas ce qu’elle fait germer. Certains films m’ont rendue meilleure – je parle de la femme, pas de l’actrice. D’autres ont accru ma part noire, dark… Tout est nourriture. Les films que j’ai tournés sont comme les films que j’ai vus ou les livres que j’ai lus. M’ont-ils rendue meilleure ou pire?»