Toiles
La Mostra s’ouvre mercredi soir masquée et sans fièvre. Le ralentissement de l’épidémie durant l’été en Italie a convaincu les dirigeants du festival d’organiser une biennale aux mesures de sécurité très rigides

Un tapis rouge vénitien à l’épreuve du coronavirus, qu’acteurs et autres réalisateurs pourront fouler seulement à une distance d’un mètre les uns des autres. Cette mesure sera aussi respectée par les photographes appelés à immortaliser les célébrités de cette 77e édition de la Biennale du cinéma de Venise en temps de crise épidémique. La présidente du jury, l’actrice Cate Blanchett, ou encore sa consœur Tilda Swinton, qui se verra décerner un Lion d’or à la carrière mercredi soir lors de la cérémonie d’ouverture, seront par ailleurs seules sous les flashs, le public n’étant pas admis à l’entrée de la Sala Grande.
«Il faut renoncer au rite des autographes, regrette Alberto Barbera, directeur artistique de la Mostra. Nous ne pouvons pas permettre de rassemblements, qui risquent de favoriser la diffusion du virus.» Ce critique cinématographique, à la tête de plus d’une dizaine de biennales vénitiennes, est conscient que son rendez-vous est un «banc d’essai» qui «démontrera que l’on peut recommencer à organiser ce genre d’événements et à retourner au cinéma». Pour s’en assurer, il a imposé des mesures drastiques: contrôles de la température dans tous les espaces, port obligatoire du masque partout et en tout temps, capacité des salles réduites de moitié pour s’assurer de la distance de sécurité.
Lire aussi: Locarno 2020: le Léopard rugit encore
Aidé par la fin de la quarantaine nationale en Italie début juin et une épidémie ralentissant, Alberto Barbera s’est convaincu en début d’été d’organiser un festival physique, écartant rapidement la possibilité d’une édition virtuelle. Et en signe d’espoir et de solidarité avec l’industrie cinématographique malmenée par le coronavirus, il a invité sept directeurs artistiques de festivals européens à participer à la cérémonie d’ouverture. Parmi eux, Thierry Frémaux et Lili Hinstin, qui ont dû annuler l’édition physique de leurs festivals de Cannes et de Locarno.
«Même si, par le passé, il y avait une forte concurrence entre nous, nous avons commencé dès mars à échanger afin de comprendre comment affronter cette situation inédite ensemble», raconte le critique italien. Ainsi, aucun des festivals internationaux de l’automne n’a prétendu à une exclusivité ou première mondiale, permettant à une œuvre de participer à plusieurs manifestations. Et tous pourront profiter de l’expérience de l’édition vénitienne et des difficultés qu’elle sera éventuellement appelée à affronter.
L'édition de toutes les questions
Les producteurs arrivent sur place optimistes, mais avec beaucoup de questions. «Est-ce seulement un geste symbolique ou l’événement aura-t-il une réelle utilité?» se demande Carlo Cresto-Dina, fondateur de Tempesta, maison productrice de Heureux comme Lazzaro, Prix du scénario à Cannes en 2018. «Les festivals sont essentiels pour ce cinéma d’auteur, pour des questions de distribution et de marketing. Avec la crise, ce système devra-t-il changer? Et par quoi serait-il distribué?» Il en profitera pour tisser son réseau, ce qu’il regrette n’avoir pas pu faire cette année dans le sud de la France.
«Nous avons fortement ressenti l’absence de Cannes et de Locarno, des lieux de rencontre pour construire le futur» du cinéma, confirme le producteur Simone Gattoni, en concours sur la Croisette l’an dernier avec Le Traître. Il ne sait pas ce qu’il aurait fait si l’édition 2019 avait été annulée. Sans doute aurait-il renvoyé son film comme l’a fait Nanni Moretti, qui préfère attendre 2021 pour son Tre Piani prêt depuis le printemps. Mais le film de Simone Gattoni sur le mafieux repenti Tommaso Buscetta, réalisé par Marco Bellocchio, témoigne de la vitalité du cinéma italien même en temps de crise épidémique. Il a rempli les open airs italiens durant l’été et joui d’un petit succès en Allemagne, marché difficile pour le cinéma transalpin, où il est sorti il y a trois semaines.
Lire également: «Joker» rafle le Lion d'or de Venise
Son parcours international a été interrompu par le coronavirus après sa distribution en France en novembre et aux Etats-Unis en janvier. Le virus a aussi freiné l’engouement des Italiens pour leur cinéma national. En 2019, les entrées en Italie ont augmenté de plus de 13% à 97,5 millions de spectateurs. Cette année, la comédie de Checco Zalone Tolo Tolo reste le film le plus vu. Il a encaissé 46 millions d’euros après avoir détrôné un autre film italien au sommet du box-office; Pinocchio, de Matteo Garrone. Avec six films italiens en et hors compétition, le Mostra de Venise espère relancer cet enthousiasme.
«La Mostra est un laboratoire pour les festivals à venir»
Alberto Barbera est le directeur artistique de cette 77e édition de la Biennale du cinéma de Venise. A la veille de l’ouverture de ce rendez-vous particulier, il a répondu à quelques questions du «Temps»
Le Temps: En ces temps de pandémie, quel genre de festival avez-vous réussi à organiser?
Alberto Barbera: Cette biennale du cinéma est un laboratoire. Ce sera la démonstration, en vue des prochains festivals, que l’on peut de nouveau organiser de grands événements à partir du moment où toutes les mesures de sécurité possibles sont respectées. Du contrôle de la température au port obligatoire du masque dans des salles toujours désinfectées, en passant par la réservation de sa place dans les cinémas, nous appliquerons ces mesures avec rigidité. Il s’agit de garantir à tous de participer sans courir de risques.
Comment s’est déroulée la sélection des films durant ces mois de productions à l’arrêt et de cinémas fermés?
Nous n’avons pas réussi à voir seulement certaines grosses productions américaines. Les principaux studios, Netflix ou Apple, entre autres, sont encore en quelque sorte en quarantaine: ils ne permettent pas aux réalisateurs et acteurs de voyager pour promouvoir leurs films quand d’autres ne sont simplement pas distribués. Ils ont donc décidé de nier les pellicules à tous les festivals d’automne. Nous n’avons pas vu non plus de nombreux films français ou italiens attendus, mais renvoyés à l’an prochain, comme le nouveau Nanni Moretti.
Cela étant dit, tout s’est déroulé comme les années passées. Les films nous sont arrivés du monde entier, dans la même quantité, sans exception. Il y a cette année dans notre programme plus de 50 pays représentés, dont certains encore en quarantaine. Ce ne sera pas un festival autochtone, composé seulement de cinéma italien ou européen, mais bien un festival international. Il témoigne d’un cinéma tout autre que moribond, d’un cinéma capable de se rénover, de trouver de nouvelles voix et de nouvelles narrations.