Au fil des saisons, Game of Thrones a élaboré une mécanique particulière, qui tient presque de la formule, voire d’une routine. La série la plus prestigieuse du moment repose sur un découpage et une progression d’un classicisme affirmé, et élégant. Passant d’un personnage à l’autre, alternant ses tableaux, ménageant de longues absences, et se réservant, c’est désormais une tradition, une acmé au neuvième épisode – guerre navale, massacre des Stark, attaque du Mur au nord…
La théâtralité de Game of Thrones lui permet d’accumuler son impressionnant nombre de personnages et d’intrigues, au point que l’on peut parfois s’y perdre.
La cinquième saison, qui démarre dimanche sur HBO, dérogera-t-elle à ce cadre? Pas sûr. Il se dit que son démarrage est plutôt tranquille. Puis «cela se corse de plus en plus», a glissé le cocréateur et auteur David Benioff, promesse qui ne mange pas de pain noir. Pour ce cinquième volet, c’est une première, HBO a orchestré une sortie mondiale, les épisodes étant disponibles chaque semaine au moment de leur diffusion américaine – ce sera lundi en Suisse, France et Belgique, en version originale sous-titrée. A l’occasion de ce retour, évocation de cinq figures majeures, parmi tant d’autres.
■ Arya Stark (Maisie Williams)
Il faut commencer par la fillette farouche. Parce qu’elle concentre ce mélange d’une rare empathie et de tragédie qui marque la fiction inspirée des romans de George R. R. Martin. Plutôt brave, courageuse et bien disposée, elle protège un bâtard, personne mal vue s’il en est chez ces gens-là, puis entretient cette curieuse relation avec Tywin Lannister, lequel ignore alors sa véritable identité. En fuite avec Clegane, «le limier», elle s’est révélée durant la quatrième saison, dont elle fut de toute évidence le personnage principal avec Tyrion. Elle apprend à tuer, elle tue, puis elle dresse sa liste de personnalités à assassiner par vengeance, mettant en exergue les souffrances de la maison Stark. La manière dont elle quitte son cynique protecteur, en le dépouillant et le laissant agonisant, clôt toute discussion: la violence est contagieuse. Au-delà des sept saisons évoquées, le monde de Game of Thrones restera éternellement celui de fratries en furie.
■ Tywin Lannister (Charles Dance)
Quoiqu’il advienne après que Tyrion lui a planté deux flèches dans le ventre, le père du clan Lannister incarne au plus haut point, dans la galerie de personnages, la cruauté du calcul clanique. Le patriarche de la faction a priori dominante, qui voit son pouvoir s’accroître avec la mort du stupide Joffrey, porte sur ses épaules la dimension médiévale de la fiction. Seule la lignée compte, la famille doit passer par tous les stades, y compris les déchirures, pour obtenir la seule valeur qui compte: sa pérennité. En ce sens, Tywin Lannister est peut-être la figure la plus réaliste de la série…
■ Daenerys Targaryen (Emilia Clarke)
On l’oublierait, mais la Mère des dragons est d’abord reine de la communication. Voici qu’elle aborde une nouvelle cité, au milieu de ses déserts de l’est, et qu’elle fait catapulter des caisses contenant des boucles et attaches d’esclaves. Ces pièces signifient la libération promise si la majorité soumise se révolte en sa faveur: l’acte tient du coup de génie en termes de langage, et de symbole. Alors que ses oiseaux cracheurs de feu, arme potentielle, deviennent incontrôlables, la «Khaleesi» représente la perpétuelle tentation d’asservir toute force naturelle. Un raisonnement à peine alambiqué ferait de la belle Daenerys une parfaite métaphore du monde de Game of Thrones : un genre d’élan vers une modernité avec sa levée de l’esclavage, mais aussi, l’âme à guerroyer dans sa marche vers Westeros et la constante attache au passé mythologique des dragons.
■ Tyrion Lannister (Peter Dinklage)
Le «lutin» finit par illustrer le feuilleton dans son ensemble. Brillant acteur, Peter Dinklage est devenu superstar, et porte-étendard en chef des tribus de Game of Thrones . Piquant destin pour un personnage d’abord manipulateur en diable, et qui, toujours, reste indissociable de sa houleuse relation à sa sœur Cersei. Tywin, le père, joue le tireur de ficelles au nom de la famille; Tyrion représente le Machiavel des Sept Royaumes, ce d’autant qu’il est l’un des rares protagonistes à entretenir la culture du livre et de l’écrit. Négociés avec excellence par son interprète, les virages du parcours de Tyrion cristallisent la capacité des histoires de George R. R. Martin, ainsi que des scénarios de l’équipe de David Benioff et D. B. Weiss, à faire évoluer les héros de la saga. En quatrième saison, sous le déchaînement permanent de sa sœur, il est devenu victime, puis fuyard. L’une des informations à propos de la cinquième saison est qu’il reviendra barbu. Sans doute, pour mieux muer encore.
■ Samwell Tarly (John Bradley)
Il partage avec Tyrion le goût des vieux volumes poussiéreux, afin d’en tirer quelques enseignements. Pour le reste, Sam se situe à l’exact opposé. Voici un personnage qui ne change en rien au long des saisons. Il évolue, passant des quolibets à une forme d’acceptation de son entourage dans la Garde de nuit. Mais aucun trait fondamental ne s’atténue ou ne se plie: l’attachement indéfectible à son ami Jon Snow, son amour pour Gilly, son intelligence dans un milieu de brutes… Vu ainsi, Samwell serait le seul porteur d’espoir parmi toutes les cliques, du nord-ouest au sud-est. L’unique bonhomme à afficher une relative confiance envers ses congénères, et donc, à mériter une affection sans équivoque du public de la série. Placide, ce guerrier malhabile devrait être un héros de (bonne) chair exprimant une authentique compassion. La sombre magie de Game of Thrones en fait un antihéros, en ces temps, comme dit George R. R. Martin, de glace et de feu.
Game of Thrones, saison 5. RTS Un, dès le lundi 13 avril, 22h30.Retrouvez nos articles à propos de la série sur www.letemps.ch