«Gaston Lagaffe»: des gaffes et des dégâts
Cinéma
Le génie de la gaffe imaginé par Franquin inspire une adaptation cinématographique qui réussit à éviter le désastre sans pour autant faire d’étincelles

Quelques semaines après Spirou et Fantasio, c’est au tour de Gaston Lagaffe d’accéder à la dignité du 7e art et de poser la question sempiternelle: hormis l’espoir d’un gain financier, quel intérêt y a-t-il à adapter les chefs-d’œuvre de la bande dessinée humoristique (Astérix, Lucky Luke, Les Schtroumpfs, Boule et Bill…) avec des comédiens de chair? La légèreté du dessin s’efface devant la pesanteur des corps, le rythme fléchit, la continuité narrative désactive l’imagination. L’interrogation est particulièrement légitime en ce qui concerne l’œuvre d’André Franquin: le moindre croquis du dessinateur belge déborde de vie. Quant à Gaston, l’inadapté social, le rêveur contrarié, le paresseux hyperactif, le grain de sable dans la machinerie entrepreneuriale, il est à jamais notre frère.
Il échoit au jeune Théo Fernandez le redoutable privilège d’incarner le gaffeur. Le comédien enfile le pull vert informe, les espadrilles avachies et adopte une tignasse en bataille; mais s’il souffre d’une cyphose naturelle qui le prédestinait au rôle, il n’a pas le genou mou ni le gros pif du personnage. Quant à la voix, elle ne correspond évidemment pas à celle que nous entendons en relisant les albums.
Vache et gaffophone
Gaston Lagaffe ne travaille plus au Journal de Spirou, mais Au Petit Coin, une PME qui invente un nouveau destin commercial aux ratés de l’industrie. Ses collègues sont toujours Prunelle, Lebrac, Sonia, ’Moiselle Jeanne et M. Boulier, ses amis Jules-de-chez-Smith-en-face et Bertrand Labévue, ses ennemis l’agent Longtarin et M. De Mesmaeker. Flanqué de son chat et de sa mouette rieuse, il joue du gaffophone, installe des télésièges dans l’open space, y introduit une vache, cultive des citrouilles sur le toit de l’immeuble, provoque maintes catastrophes et fait systématiquement échouer la signature des contrats qui sauveraient l’entreprise de la faillite.
La plupart des gags sont tirés des albums; cette fidélité est honorable, car elle permet d’échapper à cette inanité triviale de la comédie française contemporaine dont le réalisateur, Pierre-François Martin-Laval (Les profs), est coutumier. Confondant style et agitation, Gaston Lagaffe est toutefois impuissant à rendre l’expressivité prodigieuse des dessins de Franquin et le tendre anarchisme dont il est le chantre.
Hormis Gaston, le film ne cherche pas la ressemblance physique avec les personnages dessinés au-delà de quelques emblèmes (queue de cheval et grandes lunettes pour ’Moiselle Jeanne). A une exception près: Mademoiselle Kiglouss. La secrétaire de M. De Mesmaeker n’apparaît qu’une seule fois dans les quelque 950 planches de Gaston. Mais elle a frappé les esprits. Et, avec ses dents et son rire de cheval, elle s’incarne miraculeusement sous les traits de la comédienne Silvie Laguna.
Gaston Lagaffe, de et avec Pierre-François Martin-Laval (France, 2018). Avec Théo Fernandez, Arnaud Ducret, Jérôme Commandeur, 1h24.