«Generation Kill» ou l’ensablement d’une armée
Séries TV
Due à David Simon et Ed Burns («The Wire»), sur la base du témoignage d’un journaliste embarqué, «Generation Kill» dresse un constat piteux du début des opérations américaines en Irak.
J’ai de la suite dans les idées. Après avoir eu le plaisir de proposer une interview du scénariste David Simon (LT du 5.11.2009), et traité, ici même samedi dernier, de House of Saddam , je noue la gerbe en évoquant Generation Kill. Diffusée en 2008, cette mini-série en sept chapitres d’une heure raconte l’arrivée des premiers soldats américains en Irak en mars 2003. Elle est due à David Simon, avec son complice de The Corner et The Wire , Ed Burns. Le tandem adapte un livre éponyme d’un journaliste «embarqué», Evan Wright, lequel a participé à l’écriture du feuilleton. Il est visible en DVD (zone 1, avec sous-titres français).
Pour le créateur de The Wire, le projet représentait un changement complet de dispositif. Il quitte le macadam de sa ville, Baltimore, et les failles urbaines, pour la guerre dans les dunes. HBO Films, qui produit, a manifestement délié sa bourse: tournée en Afrique du Sud, en Namibie et au Mozambique, la mini-série bénéficie de moyens impressionnants. Pour aboutir au constat d’une vacuité touchant au désespoir.
Generation Kill suit un bataillon de marines en reconnaissance, partant du Koweït pour remonter, peu à peu, jusqu’à Bagdad. Première marque de fabrique de David Simon, la vision de ces sept épisodes sera pénible aux compulsifs des techniques feuilletonnantes: l’auteur refuse tout artifice narratif, il ne recourt à aucun coup de théâtre. Au sens graphique du terme, la série n’est pas littéralement violente; sa brutalité réside dans les tirs des soldats sur des cibles à distance, lointaines – ce qui, en fait, est pire. Le spectateur est posé à côté de ces marines paumés, sans aucune vue d’ensemble, motivés au mieux par quelques défis tactiques. Il faut prendre une piste d’atterrissage, puis un pont, et traverser des villes dépeintes comme hostiles par les colonels, dans leurs omniprésentes interventions radio – les seuls sons hors de l’action, la série, comme toujours chez David Simon, n’ayant pas de bande musicale.
Contrairement aux décideurs du cinéma, tétanisés lorsqu’il s’agit d’aborder un sujet sensible, les créateurs de séries TV n’ont pas tardé à traiter la guerre en Irak. En 2005, le nabab télévisuel Steven Bochco a fourni la passionnante Over There , qui mettait l’accent sur les malentendus culturels suscités par l’invasion des Américains.
Generation Kill radicalise le propos: «Ce ne sont pas les Arabes qui vont nous tuer. C’est le commandement», lâche un soldat. L’expérience d’Evan Wright montre l’armée de la première puissance militaire mondiale sous un jour passablement piteux. Les cafouillages, les fautes stratégiques, les vaines concurrences entre escouades ne cessent de s’accumuler.
Et, bien sûr, ce sont les civils qui paient le prix de cette occupation décrite comme l’œuvre de barbouzes suréquipés, mais qui manquent de piles pour leurs viseurs nocturnes. Toutes ces avancées hasardeuses pour conclure, dans le chaos des rues de Bagdad livrées aux pillards: «On a débarqué dans ce pays en foutant tout en l’air. Maintenant, il faut qu’on leur montre pourquoi on les libère.»