Pendant cette année des 20 ans, Le Temps met l’accent sur sept causes emblématiques. La sixième porte sur «la technologie au service de l’homme». Nous mettrons en avant des entreprises dont le moteur est d’utiliser la technologie pour améliorer notre quotidien. Le Temps se demande aussi comment l’art, via la réalité virtuelle, permet de réfléchir sur notre condition.

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Nager, faire l’amour, dormir… rares sont les activités humaines dans lesquelles la technologie ne s’immisce pas. Mais ces territoires vierges d’applications et de connectivité sont sous pression et tendent à disparaître. C’est le sommeil, perçu comme le dernier rempart contre la voracité du capitalisme, que le collectif Invivo a choisi d’interroger via son spectacle 24/7, mêlant réalité virtuelle et théâtre. Ce spectacle fait partie d’une sélection d’œuvres du projet Sensible visant à replacer l’humain au centre de la société numérique. Elles seront présentées lors du prochain Geneva International Film Festival (GIFF), qui se déroulera du 2 au 10 novembre et dont Le Temps est partenaire.

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Depuis plusieurs éditions, ce festival présente des œuvres de réalité virtuelle et augmentée. Cette année, il a décidé d’aller plus loin. Sensible, qui regroupe six œuvres en Compétition pour un prix spécifique, vise à interroger les rapports entre l’homme et la technologie. «Cette dernière permet d’accroître nos champs de réflexion dans de nombreux domaines, et le GIFF a été précurseur, notamment avec la réalité virtuelle, pour explorer de nouveaux univers artistiques, explique Emmanuel Cuénod, directeur artistique du festival. Sensible regroupera des œuvres parlant d’une façon totalement inédite du suicide, de découvertes scientifiques ou encore d’art pictural. Mais ce sera aussi l’occasion de parler de notre rapport direct avec la technologie.»

Une nuit en trente minutes

D’où l’idée, pour le GIFF, de présenter 24/7, qui évoque, via la réalité virtuelle, un monde où la technologie permet de compresser une nuit de sommeil en trente minutes, afin d’accroître notre productivité. Invivo, basé à Lyon, s’est inspiré de l’essai de Jonathan Crary intitulé 24/7, le capitalisme à l’assaut du sommeil. Le repos, temps durant lequel l’on ne construit ni ne consomme, est sous pression. «Depuis le début de l’écriture de notre spectacle en 2016, il y a déjà eu tellement d’innovations technologiques autour du sommeil… Il est vraiment difficile de faire de la fiction d’anticipation. Certaines technologies tentent d’avoir des rêves lucides, d’autres d’optimiser nos heures de sommeil», explique Alexia Chandon-Piazza, du collectif Invivo.

24/7 raconte les essais de la start-up Dreamr, qui développe un casque de réalité virtuelle visant à récupérer une nuit de sommeil en seulement trente minutes. L’accessoire crée un rêve qui plonge l’utilisateur dans un sommeil artificiel. Et Dreamr va tester son casque sur un cobaye. L’œuvre se déroulera en deux parties, les spectateurs étant répartis en deux groupes qui alterneront. Dans le premier groupe, les participants utiliseront eux-mêmes des kits de réalité virtuelle, soit le casque Gear VR de Samsung et un smartphone S7 de la même marque. Ils seront transposés dans un laboratoire où ils assisteront aux quatre rêves artificiels du cobaye, Noé, entrecoupés de quatre phases de réveil. Le deuxième groupe, dans lequel les participants seront munis d’un casque audio, suivra Olivia, docteure en neurologie de l’entreprise Dreamr. Au milieu du spectacle, les participants sont invités à intervertir leurs places pour assister à l’œuvre d’un autre point de vue. Et à la fin, une partie commune offrira une plongée dans une réalité rompue par les rêves.

Un espace total de liberté

Pour Alexia Chandon-Piazza, l’un des buts de 24/7 n’est pas forcément de diaboliser ces tentatives, bien actuelles, de diminuer nos besoins en sommeil. «Nous ne voulons pas donner de réponse à la question de savoir si c’est bien ou mal, mais il est difficile de nier le caractère anxiogène de cet univers. Nous aimerions montrer le danger qu’il y a à vouloir contrôler tous les aspects de nos vies: le sommeil et les rêves devraient être un espace total de liberté, or cet espace pourrait être menacé…»

Le sommeil et les rêves devraient être un espace total de liberté, or cet espace pourrait être menacé…

Alexia Chandon-Piazza, du collectif Invivo

L’un des objectifs du spectacle, c’est de réfléchir sur notre rapport au repos. Juste avant le début de 24/7, les spectateurs sont invités à remplir un questionnaire les amenant à s’interroger sur la place du sommeil dans leur vie. Ensuite, lors du spectacle, certains seront déroutés par la narration. «L’écriture n’est pas linéaire, elle est plutôt fragmentée, poursuit Alexia Chandon-Piazza. Nous aimons créer des moments de doute et laisser en quelque sorte le spectateur travailler pour éviter qu’il ne soit passif. Au final, les spectateurs ne sortent pas du tout angoissés de 24/7 mais se posent et nous posent beaucoup de questions: c’est positif.»

Au départ, Emmanuel Cuénod le reconnaît sans problème, il n’était pas très optimiste en allant découvrir 24/7. «En général, les mélanges entre la scène théâtrale et les expériences immersives ne sont pas très réussis. Mais ce spectacle relève très bien ce défi. Il y a aussi une maîtrise non seulement du langage du théâtre, mais aussi du cinéma.» Pour le directeur artistique du GIFF, «si on a déjà l’impression que le numérique est intrusif, on se rend compte avec 24/7 qu’il pourrait l’être encore bien davantage.»

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Festival GIFF à Genève


Dans le cadre du GIFF, du 5 au 10 novembre 2018. Lieu: L'Annexe (ZIC), avenue de Châtelaine 4, 1203 Genève. Billetterie et réservations: www.giff.ch