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La guerre des festivals de séries TV est ouverte

Ce mercredi commence Canneseries, première édition du nouveau Festival de Cannes des feuilletons. Dans trois semaines, c’est au tour d’un événement concurrent à Lille. Histoire d’une bataille clochemerlesque qui raconte la nouvelle puissance des séries

Cannes déroule le tapis rouge pour Canneséries, un festival de fiction télévisuelle qui vient concurrencer Séries Mania. — © LOIC VENANCE
Cannes déroule le tapis rouge pour Canneséries, un festival de fiction télévisuelle qui vient concurrencer Séries Mania. — © LOIC VENANCE

Les Croisettistes contre les Ch’tis. Ces prochaines semaines en France, un duel inédit va se dérouler. Deux grands festivals vont avoir lieu, l’un au Sud, l’autre au Nord; le premier dès ce mercredi, le second à la fin du mois. Tous les deux traitent de la même matière, les séries TV. C’est la première fois dans l’histoire de la fiction TV qu’une telle bataille événementielle se déroule.

Ce mercredi s’ouvre Canneseries, première édition d’un événement qui ambitionne de devenir pour les feuilletons ce que son grand frère est au cinéma depuis 1946: un phare mondial et un incontournable rendez-vous annuel. Dès le 27 avril, le festival Séries Mania, pour sa neuvième édition, se déploiera lui à Lille, après huit années à Paris.

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Deux grands-messes très comparables

Ces deux grands-messes sériephiles ont de nombreux points communs. Une durée presque identique d’une grosse semaine, une compétition officielle de 10 séries chacune, un fort accent international avec une grande variété de provenance des feuilletons, des vedettes du milieu invitées comme conférenciers ou jurés et des budgets à peu près comparables – environ 5 millions d’euros.

Comment en est-on arrivé à un tel doublon, spectaculaire autant qu’un peu ridicule? Par un cafouillage politique assez propre au système français.

Séries Mania a été fondé en 2010 par l’équipe qui dirige le Forum des images, aux Halles, au cœur de Paris. L’événement a lentement grandi, au fil de contacts avec quelques grands acteurs du secteur – France Télévisions, mais surtout Canal + et l’américaine HBO, entre autres. L’année passée, le festival parisien avait ainsi pour hôte d’honneur Damon Lindelof, coresponsable de Lost et cocréateur de la puissante The Leftovers. Il n’est certes pas une star mondiale, les scénaristes ne le sont jamais, mais c’est un nom connu des amateurs.

Peu à peu, Séries Mania s’est imposé dans le microcosme, et a gagné en popularité grâce à des projections gratuites. Sur le plan professionnel, l’événement a notamment profité à la série romande Quartier des banques, qui a gagné à se faire connaître dans cette enceinte. Plusieurs Suisses ont déjà vanté leurs projets lors de séances de résumés, de pitches.

L’annonce de 2015

Le paysage est bousculé en 2015, lorsqu’une petite déclaration secoue la branche. Alors ministre de la Culture du gouvernement Hollande, Fleur Pellerin annonce qu’il faut créer un grand festival européen de la fiction TV, un «Cannes des séries». La montée en popularité du genre et le fait que des festivals majeurs tels que Berlin ou Venise se mettent à montrer des épisodes de feuilletons, interpellent les politiques.

L’expression «Cannes des séries» est prise au mot par le maire de la ville concernée. David Lisnard (Les Républicains) saisit la balle au bond et lance l’idée d’un rendez-vous mondial dans sa cité. La proximité avec le grand Festival de Cannes renforce évidemment la proposition. Au printemps 2017, la présidence de la fête cannoise est proposée… à Fleur Pellerin. La mise sur pied de l’événement se fait de manière locale, sans soutien du gouvernement. Ainsi, pourtant incontournable dans le secteur, le Centre national du cinéma et de l’image animée ne soutient pas Canneseries.

En parallèle, le gouvernement continue sa prospection et met au concours l’organisation du «grand festival des séries». La ville de Lille postule. Coup de théâtre en juillet 2017, Séries Mania se saborde en se ralliant à Lille. La direction du festival reste la même, il change juste d’écrin.

A ce propos: Festival des séries TV: Paris se saborde pour Lille

Les responsables du Nord et du Sud ne se sont jamais affrontés de manière directe. Tout au plus, il y a quelques jours, l’équipe de Séries Mania s’est-elle fendue d’un tweet ironique, peut-être rageur, après que Fleur Pellerin a déclaré sur un plateau de TV que Canneseries était «le premier» rendez-vous des séries en France.

La preuve de la puissance du genre

Cette obstination des deux camps montre à quel point la fiction sur petit écran attise les convoitises. Dans son mot de bienvenue aux festivaliers, Charles-Ange Ginésy, président du département des Alpes-Maritimes, hasarde l’hypothèse que «la série est peut-être la plus grande révolution culturelle contemporaine». Et une manne intéressante: en huit éditions, Séries Mania est passé de 5000 à 50 000 spectateurs, des dizaines de journalistes, au moins autant de professionnels.

Qui gagnerait?

S’il y a lutte à mort, qui peut l’emporter? Impossible de le dire en cette première année du duel. Séries Mania a pour elle son histoire, son carnet d’adresses, la fidélité des gens de ce petit monde. Elle a perdu Canal +, qui soutient le petit Cannes comme elle porte le grand, mais elle garde l’appui de HBO, Arte et France Télévisions, entre autres.

De son côté, Cannes dispose de la force de frappe aussi méconnue qu’imposante du MIPTV, l’un des premiers marchés audiovisuels du monde. Il se déroule début avril, raison pour laquelle la ville a placé sa fête des séries presque au même moment que sa concurrente. Fort de son ancrage chez les acheteurs de programme du monde entier, le MIP apporte à Canneseries une structure solide, et des contenus.

Entre les plagistes de la Croisette et les Parisiens chez les Ch’tis, la bataille va être féroce. Pour l’heure, les deux manifestations paraissent assez égales en termes de vedettes intéressantes et de premières mondiales affolantes. Pour les Romands, Cannes a un petit atout dans sa manche, le dévoilement planétaire de La vérité sur l’affaire Harry Québert, gros projet de Jean-Jacques Annaud d’après Joël Dicker. Mais Séries Mania ne manque pas de promesses.

Même par Clochemerle, la France assure sa position

Une chose paraît sûre: avec sa clochemerlesque compétition nationale, la France a au moins décroché la première place européenne du festival des séries. Il y a eu des velléités en Allemagne, notamment. Mais avec ces deux grands moments d’avril et leurs démarches concurrentes pour attirer les grands noms américains, l’Hexagone a verrouillé sa position. Pour un autre pays qui voudrait s’avancer sur le marché des séries, il sera difficile, voire impossible, de se lancer dans la mêlée.

Et si amateurs les plus boulimiques ne sont pas rassasiés, il reste un troisième rendez-vous, Séries Series, des rencontres de professionnels européens à Fontainebleau, fin juin. Deux événements à visée internationale, c’eût été trop limité.

Les points forts des deux événements

Cannes présente, samedi, la première mondiale de La vérité sur l’affaire Harry Québert. C’est l’un des points forts de l’événement. Le festival présente aussi la troisième saison de Versailles, ainsi que la nouvelle série adaptée de l’auteur de romans policiers Harlan Coben, lequel est invité d’honneur. Parmi les vedettes attendues figurent les acteurs Michael C. Hall (Dexter) et Michael Kenneth Williams (entre autres, The Wire).

Lille a sa séquence nostalgie avec l’accueil de Patrick Duffy, naguère Bobby, le seul être humain à peu près aimable de Dallas. Séries Mania reçoit aussi un poids lourd du secteur, Carlton Cuse, impliqué dans Lost, Bates Motel et Colony, qui vient présenter son adaptation de romans de Tom Clancy pour Amazon. Parmi les primeurs, le festival montrera Succession, saga de HBO sur une famille aux commandes d’un empire médiatique, et Babylon Berlin, nouvelle forte promesse allemande.

Si le cinéma est roi, Cannes reste son royaume

Le rendez-vous de la Croisette, la plus importante manifestation de la planète cinéma, donne le ton de la production mondiale

Lorsqu’il s’agit de trouver une périphrase pour évoquer le Festival de Cannes, on qualifie souvent ce dernier de «plus importante manifestation cinématographique du monde». Mais est-ce bien le cas? Si l’on s’en tient à la qualité moyenne des films qui y sont présentés, cela ne fait aucun doute. En fin d’année, lorsqu’il s’agit d’élire les meilleurs longs métrages des douze mois écoulés, on remarque en parcourant les classements proposés par la presse spécialisée que nombre de titres cités ont démarré leur carrière à Cannes. Sensation de l’année 2016, Toni Erdmann, de l’Allemande Maren Ade, n’aurait probablement pas connu une si belle carrière internationale s’il n’avait pas fait le buzz sur la Croisette. Cannes reste une formidable caisse de résonance qui donne le la de la production mondiale. Qui suit le festival sait de quoi sera faite l’année cinéma à venir.

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Le Festival de Cannes, c’est également un Marché du film suivi par plus de 12 000 professionnels, qu’ils soient producteurs, vendeurs ou acheteurs. Parmi eux également, un bon millier de directeurs de festivals, dont Thierry Jobin, du Festival international de films de Fribourg (FIFF). Lorsqu’on lui demande si le marché cannois n’est pas en train de souffrir des assauts du Toronto International Film Festival (TIFF), qui se déroule en septembre, il n’hésite pas: «Cannes reste incontestablement le rendez-vous numéro un, le lieu où les rencontres avec les ayants droit sont les plus nombreuses et les plus faciles: tout le monde est là. Toronto, par contre, l’emporte haut la main en ce qui concerne les conditions de projection, parfaites et ponctuelles, et qui mélangent l’industrie et les médias avec le grand public: ce sont des premières tests qui donnent vraiment la tendance.»

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Dans la pratique, Thierry Jobin voit très peu de films à Cannes, où il multiplie les rencontres. «L’an dernier, je suis reparti avec plusieurs centaines de liens de visionnement et quelque 460 DVD qui m’ont occupé tout l’été, tandis qu’à Toronto, je ne prends quasiment aucun rendez-vous mais papillonne d’une salle à l’autre.» Pour les producteurs également, Cannes demeure en pole position. Le Genevois Michel Merkt, qui y a présenté Toni Erdmann mais aussi Elle, de Paul Verhoeven, Maps to the Stars, de David Cronenberg ou Juste la fin du monde, de Xavier Dolan, juge la manifestation française idéale pour lancer un film au vu du nombre impressionnant de médias et de professionnels qui y sont accrédités. «Après, certains festivals sont plus intéressants pour certains genres de films», tempère-t-il.

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Lorsqu’un titre est bien reçu à Cannes, il s’agit d’une publicité mondiale et instantanée. Mais le festival peut s’avérer impitoyable lorsque la critique se déchaîne à l’unisson. Gus Van Sant et Sean Penn en ont fait les frais ces dernières années avec The Sea of Trees et The Last Face. Si le délégué général Thierry Frémaux a réussi depuis son élection en 2007 à faire revenir certains gros studios américains à Cannes, ceux-ci restent craintifs quant à un possible mauvais accueil critique. Et lorsqu’il s’agit d’attirer Hollywood, le festival souffre de la concurrence du TIFF, voire de la Mostra de Venise. Cannes, en effet, se situe trop tôt dans la saison pour lancer une campagne en vue des Oscars, but ultime de tout producteur américain. Parmi les neuf titres en lice cette année pour la statuette du meilleur film (dont Phantom Thread, La forme de l’eau, Three Billboard ou Call Me By Your Name, qui auraient tous mérité une sélection), aucun n’a été dévoilé sur la Croisette. Ce qui n’empêche pas le Festival de Cannes de rester, cela ne semble souffrir aucune contestation, la plus importante manifestation cinématographique du monde.