Propos déplacés, intimidations, propositions de rendez-vous intimes, voire viols: les agissements présumés du producteur Harvey Weinstein durant plus de vingt ans sont soudainement remontés à la surface. Qui est le sulfureux producteur de Hollywood capable, jadis, de défendre des cinéastes que personne ne soutenait? Depuis la révélation du «secret le moins bien gardé» de l’industrie du cinéma, selon le Hollywood Reporter, son profil s’assombrit.

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L’enquête du «New York Times»

La descente aux enfers a commencé jeudi dernier. Dans une vaste enquête, le New York Times révèle qu’Harvey Weinstein a tenté d’acheter le silence de dizaine de femmes après les avoir harcelées sexuellement. Entre fin 1990 et 2015, huit dossiers de règlement à l’amiable ont été négociés avec des actrices, des assistantes ou encore des mannequins pour des montants compris entre 80 000 et 150 000 dollars.

Le cas d’Ashley Judd est éloquent. Nous sommes en 1997. La jeune actrice a rendez-vous avec Harvey Weinstein au Peninsula Beverly Hills Hotel. Elle qui s’attend à un petit déjeuner professionnel se retrouve face à un homme en peignoir qui lui demande un massage et exige qu’elle le regarde se doucher. Autre cas, autre accord, celui conclu la même année avec la comédienne Rose McGowan, alors âgée de 23 ans: 100 000 dollars pour «éviter les litiges et acheter la paix».

L’enquête du «New Yorker»

Après le New York Times, The New Yorker a publié mardi une série de témoignages accablants. Trois femmes accusent désormais le magnat de Hollywood de viol. Parmi elles, l’actrice italienne Asia Argento, qui dénonce une fellation non consentie en 1997 dans une chambre d’hôtel de la Côte d'Azur. «Je me suis sentie abîmée, raconte-t-elle. Ça ne s’arrêtait pas. C’était un cauchemar.»

Des années plus tard, en 2010, Emma de Caunes subit elle aussi les pulsions du producteur. Il veut lui parler d’un film. Après moult invitations, l'actrice française le rejoint dans une chambre du Ritz, à Paris. Une fois dans la pièce, Harvey s’éclipse quelques minutes pour revenir nu, le sexe en érection, et lui demande de s’allonger sur le lit. «C’était comme un chasseur face à un animal sauvage. La peur l’excitait», raconte celle qui demeure pétrifiée.

Les témoignages ne cessent d'affluer. L'actrice Cara Delevingne, star du dernier Luc Besson «Valérian et la cité des mille planètes», raconte mercredi sur Instagram qu'Harvey Weinstein, qu'elle avait suivi à contre-coeur dans une chambre d'hôtel, lui a demandé d'embrasser une femme qui se trouvait là et a tenté de l'embrasser sur la bouche avant qu'elle ne s'échappe. La française Léa Seydoux, star du James Bond «007 Spectre», dans une tribune au Guardian, dit avoir dû «se défendre» pour échapper au puissant producteur qui s'était «jeté sur elle».

Outre ces témoignages, le quotidien publie encore un extrait audio d’une opération policière menée sur Weinstein en 2015 alors qu’il tente de forcer le mannequin Ambra Battilana à monter dans sa chambre. Dans un nouvel article du New York Times, Gwyneth Paltrow, Judith Godrèche et Angelina Jolie décrivent des expériences similaires.

Les conséquences et la défense

Face au scandale et à la «mauvaise conduite d’Harvey Weinstein», la maison de production qu’il a cofondée, The Weinstein Company, l’a licencié dimanche. La veille, trois membres du conseil d’administration du studio avaient eux-mêmes démissionné, laissant la gestion de l’affaire au frère d’Harvey et cofondateur, Robert Weinstein.

Suite à la première vague d’accusations, Harvey Weinstein a admis que son comportement avait «provoqué beaucoup de souffrances» et invoqué une époque où «toutes les règles sur le comportement et les lieux de travail étaient différentes». Entouré de ses avocats, Lisa Bloom et Charles Harder, il nie désormais toutes les «accusations de relations sexuelles non consenties» et les allégations «fausses et diffamatoires» du New York Times, contre lequel il envisage de porter plainte.

En cours de traitement pour soigner ses addictions sexuelles, selon sa porte-parole, Harvey Weinstein «espère que, s’il fait suffisamment de progrès, il se verra offrir une seconde chance». Mercredi, son épouse, Georgina Chapman, a annoncé qu’elle demandait le divorce pour des «actes impardonnables».

Les émois politiques

Les accusations portées contre l’ex-faiseur de rois de Hollywood éclaboussent le clan démocrate. C’est qu’Harvey Weinstein compte parmi ses plus généreux contributeurs. Il a notamment doté l’Université Rutgers d'une chaire au nom de l’icône féministe Gloria Steinem et s’était récemment proposé de financer la lutte contre le lobby des armes à feu. En janvier dernier, il participait à la Women’s March pour dénoncer le «sexisme» de Donald Trump.

Face au scandale, le couple Obama s’est dit «écœuré». Hillary Clinton a, quant à elle, rendu hommage au «courage» des femmes qui ont osé se mettre en avant. Plusieurs élus démocrates, dont le chef du parti au Sénat, Chuck Schumer, ont par ailleurs annoncé leur intention de reverser les contributions de campagne d'Harvey Weinstein à des organisations féministes.

Le parti républicain a saisi l'occasion pour accuser les démocrates d'hypocrisie. «Peut-être qu'Hollywood va arrêter ses leçons de morale à la con», a notamment déclaré le fils aîné du dirigeant, Donald Jr. Au-delà des dénonciations, les républicains réclament le remboursement des sommes versées par le producteur, ce que de nombreux sénateurs démocrates ont commencé à faire, en redonnant souvent l'argent à des associations caritatives ou de défense des femmes. «Joignez l'acte à la parole: rendez tout l'argent sale d'Harvey Weinstein», a lancé le parti dans une nouvelle vidéo mercredi. Il a personnellement donné 1,4 million de dollars à des candidats ou comités démocrates ou au parti depuis 1990, selon le Center for Responsive Politics. A cela s'ajoutent des centaines de milliers de dollars levés auprès de son réseau au profit de Barack Obama en 2012 et d'Hillary Clinton en 2016.

Pourquoi maintenant?

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour dénoncer ces agissements? Pourquoi avoir accepté l’argent? Sur les réseaux sociaux, les piques se multiplient. A l’instar de la couturière Donna Karan, qui a estimé que les femmes l’avaient «bien cherché» avant de se rétracter.

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«Celui qui affirme que ces femmes ont fait preuve de faiblesse pour avoir accepté un règlement ou avoir attendu si longtemps ne comprend rien à ce que signifie l’intimidation», a rétorqué Lena Dunham, créatrice de la série Girls.

L’empire Weinstein

Qui sont les frères Weinstein, Harvey et Robert? A la fin des années 1970, ces New-Yorkais créent leur première compagnie, Miramax, dont la filiale dédiée aux films de genre, Dimension, est bien connue des amateurs de frissons (les Hellraiser et des Halloween, entre autres). Le tandem bouscule Hollywood en soutenant des indépendants tels que Quentin Tarantino, des maîtres de l’épouvante comme Wes Craven, ou des paris risqués: en 2012, Harvey a reçu la Légion d’honneur pour avoir distribué The Artist. Les frères ont agité le milieu par leurs querelles avec Disney, qui a acheté puis revendu Miramax – elle appartient aux Qataris. Ils ont ensuite créé The Weinstein Company, dont Harvey est désormais banni.

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(En collaboration avec Nicolas Dufour)