«Heimatland – l’amère patrie», le nuage de la mauvaise conscience
Cinéma
Film collectif réalisé par une dizaine de jeunes cinéastes suisses, «Heimatland – l’amère patrie» gâche une idée métaphorique a priori séduisante

Et si un phénomène météorologique inconnu frappait notre pays, au point de perturber son bon fonctionnement et semer la panique? Au Festival de Locarno 2015, le concept fantastique type «catastrophe» du seul film suisse en compétition ainsi que sa coréalisation par une dizaine de jeunes cinéastes (dont deux Romands) avaient fait le buzz. Jusqu’à susciter l’intérêt de la revue «Variety», sorte de Graal de la profession. Plus d’un an plus tard, le soufflé est bien retombé. Sélectionné dans une dizaine de festivals internationaux mineurs et snobé aux Prix du cinéma suisse, après seulement 15 000 entrées enregistrées en Suisse allemande et une sortie allemande (pays coproducteur) sacrifiée au creux de l’été, le bilan est maigre. Une injustice?
Le film s’ouvre avec de très beaux plans tournés en haute montagne, de roches et d’eau où se forment de drôles de nuées avant de boucler sur un gouffre menaçant. Coupe nette. Sous une lumière rouge, un homme de dos baise énergiquement une prostituée noire dans une maison de passe. Contraste choc digne d’un film du Mexicain Carlos Reygadas («Bataille dans le ciel», «Post Tenebras Lux»)! Puis c’est une secrétaire de direction dans une grande assurance zurichoise qui, la première, découvre le gros nuage noir couvre qui déjà toute la Suisse centrale…
Les médias relaient l’alerte à la tempête, potentiellement apocalyptique tandis qu’on fait encore la connaissance d’une poignée d’autres personnages. Il y a là une policière hantée par une bavure passée; deux sœurs francophones dont la mère s’est absentée; un jeune hooligan en route pour un match des Young Boys; un vigile de supermarché confronté à la ruée des acheteurs; un jeune couple mixte dont la fille désire faire l’amour durant la tempête, etc. Pour donner un film «choral» joliment tissé façon «Happy New Year» de Christoph Schaub, ou alors plus âpre comme le très réussi «Traumland» de Petra Volpe?
Ziegler enfonce le clou
Non, juste un assemblage de courts-métrages indépendants qui ne parviennent jamais à former un tout cohérent malgré une certaine unité stylistique, à base de photo digitale grisâtre, d’écriture médiocre et de jeu approximatif. D’allusive, la critique se fait plus lourde avec l’apparition de jeunes galvanisés par un tribun de village anti-étrangers, puis un discours de Jean Ziegler à la TV rappelant la faute morale de notre pays pour avoir siphonné les richesses du Sud en acceptant l’argent de ses potentats. Pour finir, l’homme d’affaires qui s’était offert une partie de plaisir au début rejoint avec son chauffeur kurde et sa famille le flot des fuyards vers l’Allemagne, mais se voit refoulé!
Un regard irrévérencieux, voire même cinglant, sur une Suisse tentée par l’isolationnisme? Avec la finesse métaphorique de «La Dernière vague» australienne de Peter Weir ou alors la force satirique des «Nouveaux sauvages» argentins de Damian Szifron, qu’est-ce qu’on aurait aimé voir ça! Tel quel, on mesure mieux avec chaque séquence l’occasion manquée. Pour finir par constater que, comme les meilleures intentions, les bons concepts ne suffisent décidément pas.
* «Heimatland» – «L’amère patrie», film collectif de Michael Krummenacher, Jan Gassmann, Lisa Blatter, Gregor Frei, Benny Jaberg, Carmen Jaquier, Jonas Meier, Tobias Nölle, Lionel Rupp, Mike Scheiwiller (Suisse – Allemagne, 2016), avec Peter Jecklin, Dashmir Ristemi, Julia Glaus, Michèle Schaub-Jackson, Florin Schmidig, Egon Betschart, Gabriel Noah Maurer, Liana Hangartner, Stephan Gramlich. 1h39