Dans la formidable année qu’a connu le 7e art latino-américain, Ixcanul tient une place de choix, peut-être même le sommet du podium. Premier film à nous parvenir d’un pays quasiment vierge de cinéma, le Guatemala, il s’est retrouvé sélectionné en compétition au Festival de Berlin, où il a remporté le Prix Alfred Bauer (du nom du fondateur de la Berlinale), décerné à «un film qui ouvre de nouvelles perspectives ou offre une vision esthétique novatrice et singulière». Bien vu: non seulement ce film qui s’ouvre sur un accouplement porcin facilité par l’alcool évite le déjà vu mais il trouve un équilibre impressionnant entre un le documentaire ethnographique et des ambitions de fiction plus socio-politiques, sans oublier une poétique.

Raconté en flash-back à partir des préparatifs de mariage de Maria, une jeune Indienne, le film nous révèle le pourquoi de sa mine tout sauf joyeuse. Fille d’un employé de plantation de café, elle se retrouve promise à Ignacio, le contremaître, pour le plus grand soulagement de sa mère qui ne désire bien sûr que «son bonheur et sa sécurité». A l’insu de ses parents, elle fréquente pourtant déjà un garçon de son âge, Pepe, qui lui a transmis ses rêves de prendre la large. Et le soir où elle décide de s’offrir à lui, l’ivresse qui paraît ici de mise lui vaut de se retrouver enceinte! Tandis que Pepe se débine (Ignacio prétexte son endettement pour ne pas lui verser de salaire), Maria se retrouve à devoir avorter à la ville. Avec des conséquences inattendues...

Invocations mayas

Inutile de chercher ici quelque joliesse exotique. Par contre, ce film tourné dans un style plutôt français (absence de musique, ruptures sèches et ellipses) qu’américain évite tout autant le misérabilisme. Même peu montré, le volcan du titre, source de fertilité,est omniprésent, évoquant les racines d’un peuple, sa culture et ses croyances. Au-delà, ce sont déjà les Etats-Unis (après le Mexique toutefois), le rêve d’un mieux-être et la civilisation de l’argent qu’ils ont imposé (plus encore que les Espagnols). Très pauvres, exploités, ces descendants des Mayas parlent à peine la langue de leurs conquérants et sont les premières victimes d'enjeux qui les dépassent. Ils vivent dans un monde encore magique où l’on invoque l’aide du volcan protecteur pour faire disparaître l’enfant importun ou chasser les serpents qui pullulent… et mordent l’infortunée Maria.

Mystérieuse inspectrice

Mais le pire arrivera encore à l’hôpital de San Vicente Pacaya, après «l’avortement». Ou bien s’agit-il d’autre chose, qu’elle n’a pas compris? Pourquoi revoit-elle à l’hôpital l’inspectrice du recensement passée les voir chez eux? Le conte est aussi noir que la terre du volcan. Mais tout y paraît simplement vivant et réel alors même qu’une logique implacable, narrative et économique, est à l’œuvre. Au contraire de trop de films de «dénonciation» (latinos en particulier), celui-ci n’appuie jamais. La destin de Maria n’en paraîtra que plus cruel, sa mine renfrognée du début révélant bien plus qu’un visage indien «impassible»...

Né en 1977, Jayro Bustamante a étudié à Rome et Paris avant de retourner dans son pays pour faire ses vrais débuts de cinéaste après quelques courts-métrages. Ce premier long réalisé avec des comédiens amateurs, qui dévoile tout un «problème indien» non résolu, est plus que prometteur. Il faut courir le voir et espérer au plus tôt des nouvelles, tant il est vrai que ce pays réputé violent a besoin de telles images pour espérer sortir de son isolement.

*** Ixcanul - Le Volcan, de Jayro Bustamante (Guatemala - France 2015), avec Maria Mercedes Coroy, Maria Telon, Manuel Antun, Justo Lorenzo, Marvin Coroy. 1h31.