«A m’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi, et regarder les gens tant qu’y en a…» On ne sait pas si Janine Piguet aime le Mistral gagnant et autres sucreries désuètes, mais elle adore observer les gens et s’amuser à leur inventer une vie. «Un réflexe de scénariste», sourit-elle. Et ce qu’elle aime tout particulièrement, ce sont les fenêtres, qui sont comme des ouvertures sur l’intimité des inconnus. Mais si, à l’instar du James Stewart de Fenêtre sur cour, elle a une imagination fertile, ce sont plutôt de belles histoires, et non des meurtres sordides, qu’elle imagine. Comme celle qu’elle conte dans Fortissimo, court métrage qu’elle a réalisé et dont elle tient le rôle principal.

Depuis sa première mondiale dans le cadre d’un festival barcelonais qui s’est déroulé en ligne en avril 2020, il a remporté 23 récompenses à l’international. Janine Piguet en a reçu plusieurs pour son interprétation d’une pianiste passionnée agaçant une voisine névrosée peu amatrice de Rachmaninov. Ce sont ces prix reçus par le film, et qui viennent ainsi saluer le travail de toute une équipe, qui font la fierté de celle qui avoue une certaine timidité. Fortissimo connaîtra à la mi-juillet sa première suisse à l’enseigne du Festival international de films de Fribourg.

Heureux hasards

Mais si l’on rencontre l’actrice et réalisatrice, c’est bien pour qu’elle nous parle d’elle et de son parcours qui a de quoi donner le vertige, tant elle semble avoir vécu mille vies. Elle croit aux heureux hasards et aux coïncidences qui n’en sont pas, et c’est en effet de manière totalement fortuite qu’on la croisait pour la première fois en mai 2019.

Ce matin-là, à quelques heures de l’ouverture du Festival de Cannes, les taxis niçois tenaient un piquet de grève. Après quelques kilomètres de marche, on trouvait finalement un chauffeur privé en route pour la Croisette. Et nous voici dans un van transportant cinq festivaliers romands, dont Janine Piguet. Elle se présente: elle est actrice et s’apprête à tenir le premier rôle féminin d’Old Boys, le nouveau long métrage du Vaudois Jean-François Amiguet, dont La Méridienne avait eu, en 1988, les honneurs d’une sélection cannoise.

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Là encore, le hasard a bien fait les choses: c’est alors qu’elle accompagnait un ami sur les repérages du film que le cinéaste, qui cherchait encore son héroïne, la découvre et se dit qu’il tient là la comédienne idéale pour donner la réplique au solide Bernard Verley. «Le tournage a été incroyable», résume-t-elle simplement. La post-production ayant pris du retard pour cause de pandémie, Old Boys est toujours en attente d’une date de sortie.

Deux ans plus tard, c’est sur une terrasse neuchâteloise qu’on retrouve Janine Piguet. Née à Berne d’une mère alémanique et d’un père romand, elle a d’abord vécu au Tessin, avant de grandir entre Lausanne, Paris, Londres et finalement Neuchâtel. «Mon père était chercheur, on a dû déménager 13 fois avant mes 11 ans… Du coup, on a avec mes deux frères le virus du voyage.»

Elle a donné rendez-vous à Neuchâtel parce que la ville a beaucoup compté. C’est là qu’elle fréquentera assidûment les salles obscures et découvrira le cinéma d’auteur. Et c’est là aussi qu’elle étudiera l’art lyrique au Conservatoire. Elle s’est, depuis, formée au jazz vocal, un registre dans lequel elle se sent plus à l’aise, car il permet plus de liberté.

C’est finalement dans des études universitaires en biologie qu’elle se lancera, avant d’avoir la révélation de la botanique. Rapidement, elle participe à des missions à Madagascar puis en Equateur. «Mon master avait pour thème la pollinisation d’une espèce de gentiane par les chauves-souris. Je travaillais dans un centre de recherche au cœur de la forêt vierge, sans eau courante ni électricité, et auquel on accédait à l’aide d'une tyrolienne!»

Molière plutôt qu’une thèse

Son besoin d’explorer et exprimer ses émotions la poussera en parallèle vers le théâtre, qu’elle étudiera à Paris aux Enfants Terribles. Et quand elle se voit proposer une thèse en collaboration avec un labo new-yorkais et le Muséum national d’histoire naturelle de Paris, c’est son instinct qu’elle suit, acceptant la proposition de son prof d’art dramatique de prendre la route pour des représentations chantées et dansées de Molière en plein air. C’est une certitude, Janine Piguet est faite pour les chemins de traverse.

Son imaginaire la poussera finalement à écrire et à réaliser. Fortissimo est son deuxième long métrage, et le rôle qu’elle y tient est celui de sa mère, pianiste professionnelle qui a souvent répété en appartement… Elle est fière de rendre aujourd’hui hommage à celle qui lui murmurait à l’oreille la traduction des pièces de Shakespeare qu'elle allait voir à Londres en famille.

Cet été, on pourra également apercevoir la Suissesse dans un petit film réalisé par les facétieux Plonk et Replonk dans le cadre d’une exposition présentée à la Saline royale d’Arc-et-Senans. Avant de réaliser son premier long métrage, qui devrait raconter l’histoire d’un jeune migrant, elle souhaite encore réaliser un ultime court, sur le traumatisme subi par les femmes allemandes violées par les soldats alliés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

«Ce que je préfère, c’est vraiment la réalisation. J’aime l’esprit d’équipe, le fait que sur un tournage, il faut écouter tout le monde, des techniciens aux comédiens.» C’est certain, on recroisera vite Janine Piguet.


Profil

1985 Assiste à 5 ans à une générale du «Turandot» de Puccini dans les arènes de Vérone: premier choc culturel.

2001 Master en botanique.

2019 Premier rôle féminin dans «Old Boys», long métrage de Jean-François Amiguet. En attente de sortie.

2020 Réalise le clip de «Répondez-moi», la première chanson que Gjon’s Tears aurait dû présenter à l’Eurovision.

2021 Après avoir triomphé à l’international, son court métrage «Fortissimo» est présenté en première suisse au Festival international de films de Fribourg.


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