Tous ceux qui ont aimé leurs trois précédentes séries se font une vraie fête de retrouver le dispositif d’enquête unique dont Gérard Mordillat et Jérôme Prieur ont fait leur marque de fabrique. Ceux qui ne connaissent pas encore – les bienheureux, car ils ont tout à découvrir – ne doivent pas manquer cette occasion de pénétrer dans l’univers fascinant de ces chercheurs qui, à mesure qu’ils progressent, semblent mettre un point d’honneur à ne trouver que de nouvelles questions.

Mais que cherchent-ils au juste? Dans Corpus Christi, une série en douze épisodes diffusée en 1997, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, tous deux écrivains, cinéastes et parfaitement mécréants, étaient partis sur les traces de la figure historique de Jésus. En se fondant sur l’Evangile de Jean, ils ont parcouru le monde pour interroger les plus éminents chercheurs, laïcs ou théologiens juifs et chrétiens, sur ce que l’on savait vraiment, par exemple, de la pratique de la crucifixion à cette époque. Ou sur ce qu’il fallait comprendre de l’appellation «roi des juifs».

Questions sur fond noir

Puis il y a eu L’Origine du christianisme, dix épisodes diffusés en 2003, qui s’attachait à décrire, toujours sur la base de textes livrés aux interprétations de grands spécialistes, l’émergence de ce qui n’était, à l’époque, que l’une des nombreuses branches dissidente du judaïsme. Enfin, L’Apocalypse, douze épisodes en 2008, interrogeait le succès paradoxal de cette poignée de juifs qui n’attendaient que la fin des temps, et ont fini par fonder ce qui deviendra la religion officielle de l’Empire romain.

Dans Jésus et l’islam, diffusée sur Arte à partir de lundi, les deux enquêteurs quittent pour la première fois le champ biblique et pénètrent dans le Coran et les hadiths. Pour y découvrir que la figure de Jésus y est étonnamment proéminente. Un livre tiré de cette recherche est déjà paru au Seuil (lire aussi LT du 21.11.2015). En abordant, comme à leur habitude, les textes sacrés par la racine, ils découvrent, et nous avec eux, que le fils de Marie y incarne l’esprit d’Allah, et qu’à la fin des temps, c’est lui qui tuera l’antéchrist pour le triomphe de l’islam.

A l’écran, le dispositif est toujours le même: sur un fond noir, historiens, théologiens et exégètes en tout genre, grandes pointures intellectuelles, se succèdent pour répondre à une question. Celle-ci est toujours d’une précision extrême, porte sur une phrase, voire un morceau de phrase, parfois juste un mot, dont la traduction ou l’interprétation diffèrent selon la date du texte, selon la source ou la langue d’origine du manuscrit. Parfois, on en voit un qui touche un livre, chausse ses lunettes de lectures tandis qu’il plonge dans le texte pour en extraire, ici, la matière d’une réponse et, juste après, celle d’une nouvelle interrogation. 

Le plaisir de douter

Le spectateur assiste alors au déploiement d’un formidable dialogue virtuel – car ces femmes et ces hommes ne se rencontrent jamais –, dialogues de concert ou contradictoires, qui ne cèdent rien à la vulgarisation et s’enchaînent au service d’une quête intellectuelle exigeante. Ce qu’il y a de vraiment extraordinaire, dans le travail de Mordillat et Prieur, c’est que plus on en apprend et moins on a de certitudes. Le spectacle est fascinant de ces grands spécialistes qui prennent le temps et le plaisir manifeste de douter face caméra. De dire, aussi, à l’occasion, qu’ils n’ont juste pas de quoi formuler une réponse. Elaborée de cette manière, dans l’enchevêtrement des doutes, la matière que révèlent ces documentaires est d’autant plus riche qu’elle échappe toujours à l’affirmatif et n’est jamais péremptoire.