A la fin de ce documentaire, le Brésil entier semble être un vieillard claquemuré qui murmure sa nostalgie devant une plage immense qu’il ne voit plus. Le réalisateur suisse Georges Gachot ignorait que son film sortirait au moment précis où son pays d’élection, ce pays tropical aux désirs syncopés, prendrait la route du repli sur soi, de la claustration. Where are you, João Gilberto? n’est pas seulement le portrait en creux d’un génie musical qui a choisi de disparaître de son vivant, il est une métaphore de la quête initiatique, de l’amour sans retour, d’une voix qui se dérobe.

Georges Gachot est un documentariste qui n’a pas seulement travaillé au Brésil – il a souvent porté sa caméra au Cambodge – mais sa trilogie mélomane l’a conduit vers deux icônes du pays, Maria Bethania et Nana Caymmi, et en terre de samba. Depuis longtemps, il souhaitait rencontrer João Gilberto: c’est une obsession largement répandue chez les spécialistes de musique brésilienne. Gilberto, né en 1931 dans l’Etat de Bahia, n’est pas seulement l’âme intranquille de la bossa-nova, un prodige du clair-obscur, il est aussi un reclus notoire, un mélange de Greta Garbo et d'Howard Hughes, sur lequel les rumeurs les plus romanesques rodent.

Ni oui ni non

Gachot découvre l’ouvrage d’un auteur allemand, Marc Fischer, parti lui aussi à la recherche de João Gilberto, sorte de Sherlock en short qui traque son héros dans les rues de Rio, chez des imitateurs officiels, des amis de jeunesse, des cuisiniers qui auraient saisi son dernier steak au gros sel et au riz fou. A son retour en Allemagne, l’écrivain – qui n’a jamais réussi à rencontrer Gilberto – se suicide. Gachot récupère auprès de sa famille la documentation de Fischer, notamment des photographies et une vidéo troublante où il se filme dansant dans une chambre de l’hôtel Copacabana que Gilberto aurait pu louer.

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Ainsi, Gachot reprend l’enquête de Fischer, une enquête hantée par la fin tragique et les avertissements de ceux qui voient régulièrement des visiteurs se perdre sur la route de Gilberto. Where are you, João Gilberto? est aussi une épopée hilarante où Georges Gachot s’amuse de sa propre chasse, où la plupart de ses interlocuteurs semblent se jouer de lui. L’ex-femme de Gilberto, Miucha, lui fait croire plusieurs fois que la rencontre sera possible, elle le nargue même en parlant devant lui avec João au téléphone. Le manager de Gilberto lui-même est un sphinx comique qui ne dit pas non sans jamais concéder un oui.

L’art de se volatiliser

Sans en avoir l’air didactique, ce documentaire explore une œuvre époustouflante. Gachot part à Diamantina, dans la minuscule salle de bains où Gilberto s’était déjà enfermé dans les années 1950 pour inventer ce chuchotement tonitruant. Les chansons de Gilberto traversent le récit, notamment la bouleversante Ho-Ba-La-La, qui sert de graal à cette croisade. Where are you, João Gilberto? est le meilleur film de Georges Gachot parce qu’il questionne sa propre attraction, son goût de la conquête et de la possession. Mais aussi parce que, à une époque où l’on ne peut plus s’absenter, la volatilisation de Gilberto est une leçon.


Where are you, João Gilberto?, de Georges Gachot (Suisse, France, Allemagne, 2018), 1h47. Séances en présence du réalisateur: mardi 30 octobre à Lausanne (Pathé Galeries, 20h30), vendredi 2 novembre à Vevey (Rex, 18h30), dimanche 4 novembre à Delémont (Cinémont, 10h30).