«Ton film est projeté à Locarno? Il y aura à peine dix personnes dans la salle…» Au moment d’introduire la première mondiale de A Land Imagined, Yeo Siew-hua se réjouit que la prédiction de sa mère se soit révélée totalement fausse. Avec son équipe, il fait face à 2000 personnes, et cet accueil inespéré le bouleverse. Présenté en compétition officielle, cette œuvre est son premier long métrage. C’est aussi la première production en provenance de Singapour à concourir pour le Léopard d’or du Locarno Festival, précise son directeur artistique, Carlo Chatrian. Et c’est aussi, rajoute le Valdôtain, le film le plus mystérieux de cette compétition 2018.

Yeo, qui a étudié la philosophie avant de se tourner vers le cinéma, a choisi pour décor quasi unique de son premier long les côtes et ses gigantesques chantiers, symbolisant l’expansion perpétuelle de Singapour, ce petit village de pêcheurs devenu capitale économique. Des tonnes de sable sont quotidiennement déversées pour que la terre ferme gagne du terrain sur la mer. Pour faire tourner ces chantiers dits de réhabilitation, les entreprises recrutent des ouvriers étrangers, des Chinois et des Bangladais notamment. Le réalisateur a passé du temps avec eux, les a observés, leur a parlé. Mais plutôt que de réaliser un documentaire ou une œuvre réaliste, il a choisi de signer un film de genre.

Récit en retenue

L’histoire qu’il raconte est celle de Wang, un ouvrier chinois qui, à la suite d'un accident de travail, devient chauffeur. Il est insomniaque, passe ses nuits dans un cybercafé tenu par une intrigante et séduisante jeune femme. Un inspecteur est chargé d’enquêter sur la mésaventure de Wang. C’est lui que l’on suit d’abord, avant un long flash-back sur les traces de l'ancien ouvrier. A partir de cet argument de polar, A Land Imagined déroule le fil d’un récit tout en retenue, déjouant les codes du genre, désamorçant l’idée même de suspense.

Malgré l’ancrage social du film, il ne s’agit pas à proprement parler d’un drame social, mais plus d’une réflexion autour de la solitude et de la précarité. Une réflexion oscillant entre rêve et cauchemar et magnifiquement portée par la photographie du chef opérateur japonais Hideho Urata.


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