«L’Apollon de Gaza», un dieu grec à la rescousse des Palestiniens
Cinéma
La statue antique trouvée en 2013 au large de Gaza a disparu. Pourquoi? Où est-elle? Nicolas Wadimoff mène l’enquête dans un documentaire beau comme une parabole

Cinéaste genevois domicilié au Canada, Nicolas Wadimoff a Gaza dans la peau. A trois reprises, il s’est rendu dans cette immense prison à ciel ouvert, avec la conviction que «le cinéma permet de porter un regard différent sur les choses, de parler de Gaza autrement qu’à travers la guerre et la violence». Il en a rapporté L’accord (2005), Aisheen (Still Alive in Gaza) (2009), et maintenant L’Apollon de Gaza, présenté en première mondiale au Locarno Festival, dans le cadre de la Semaine de la Critique.
On se souvient dans Aisheen des adolescents récupérant les ossements d’un cétacé échoué et en reconstituant le squelette sur la pelouse mitée d’un zoo délabré – on a les baleines blanches que l’on peut. C’est une nouvelle chimère que traque le cinéaste. Le 6 août 2013, une statue en bronze d’Apollon, datant du IIe siècle avant J.-C., est trouvée au large de Gaza. Cette formidable découverte fait la une des journaux et agite les départements d’archéologie. Et puis la statue disparaît. Nicolas Wadimoff, accompagné de la journaliste Béatrice Guelpa, a remonté la piste du bronze évaporé. Il a rencontré le pêcheur qui a ramené la pièce dans ses filets, des archéologues, des politiciens, un faussaire en pièces antiques…
Valeur marchande
Un ex-trafiquant d’armes spécialisé dans le marché des objets antiques affirme qu’il s’agit d’un faux – sa démonstration, deux minutes à l’écran, a duré 3 heures 22 devant la caméra. Des universitaires sont en revanche persuadés qu’il s’agit d’un authentique trésor. Certains pensent que les Gazaouis auraient récemment fondu cette statue et l’auraient déposée dans les égouts afin que les eaux usées la corrodent. Impossible: personne n’a accès ici à 300 kilos de bronze, se récrie un contradicteur. Apollon aurait pu être importé d’Egypte par un tunnel, conjecture un autre…
Il y a ceux qui raisonnent en valeur marchande et ceux qui savent que les trésors du passé n’ont pas de prix: «Je ne l’achèterais pas pour 2 shekels et 50 milliards, ce serait encore trop bon marché», philosophe Fadel de l’Ecole des recherches bibliques et archéologiques. Quant au ministre des Antiquités, il faut voir son visage se fermer au moment où un archéologue suisse mentionne l’Apollon.
«Cité vibrante»
Nicolas Wadimoff savait dès le départ qu’il n’avait guère de chance d’accéder à la statue. Il s’en est approché, mais il fallait jouer à des jeux dangereux, se faire passer pour un trafiquant. De toute façon, l’essentiel réside dans la quête. Il s’agit moins d’une chasse au trésor que d’une parabole. Cet Apollon, qu’une photo montre couché comme un homme blessé sur une couverture à motifs de schtroumpfs, «appartient au peuple palestinien». Il est le symbole de la renaissance de Gaza, cette «cité vibrante et pleine de fleurs au temps d’Alexandre le Grand».
Selon toute vraisemblance, le dieu des arts, de la divination et de la beauté est enfoui sous le sable dans un lieu connu de quelques personnes. «Ce qui est sûr, c’est qu’il réapparaîtra», prophétise un Gazaoui. Son second avènement devrait marquer la fin des persécutions de Gaza menées «par l’occupant sioniste».
Un pope hilare vaticine sur la mythologie grecque, ce ramassis de bobards aux vertus consolatrices; sa dialectique évangélique contient une part de vérité: l’Apollon disparu exalte l’imagination. Et même si on ne le revoyait jamais, son histoire enthousiasmante continuera de faire flamber les imaginations car elle contient la promesse de rendre une part de dignité aux Gazaouis. Au dernier plan, la caméra plonge dans la mer ténébreuse, ce gouffre amer recelant baleines blanches, trésors antiques et autres mythes qui aident à vivre.