Sur l’autoroute pour nulle part
drame économique
«A L’origine» de Xavier Giannoli s’inspire d’une imposture ahurissante
Très applaudi mais rentré bredouille de Cannes où il fut plus admiré par la critique internationale qu’hexagonale, pour finir par sortir raccourci de 25 minutes, A l’Origine serait-il l’une des fameuses «victimes» du festival? Ce serait particulièrement injuste pour ce film ambitieux et passionnant, dont le seul défaut est sans doute de ne pas être allé jusqu’au bout de son formidable potentiel.
Xavier Giannoli ( Quand j’étais chanteur) est parti d’un fait divers lu dans la presse il y a une dizaine d’années, sur un escroc qui avait réussi à embobiner toute une région et faire construire un tronçon d’autoroute. Après une enquête approfondie, il livre sa version, ouvertement romancée, de l’affaire.
Cela donne l’histoire de Paul (François Cluzet, grandiose), qui ne parvient pas à se réinsérer après être sorti de prison. Il se met alors à voler et revendre du matériel de construction à travers le nord-est de la France. Un jour dans une petite ville, il est pris par erreur pour un inspecteur d’une entreprise de travaux publics qui avait abandonné la construction d’une autoroute deux ans plus tôt (pour cause de scarabées et de protestations écologistes) et saisit l’aubaine. Devenu Philippe Miller, patron d’une filiale fictive, il relance les travaux avec l’argent avancé par des fournisseurs et devient l’homme providentiel de la région. Sauf que, porté par l’élan collectif et une affaire avec Mme le maire, il préfère bientôt la fuite en avant à la fuite avec le pactole…
Le rêve à crédit
Il y avait là tous les ingrédients pour réussir un film grandiose: le tableau d’une France profonde durement touchée par les délocalisations et le chômage, l’histoire du rachat d’un homme rendu cynique par une vie d’échecs, un suspense moral qui va crescendo. Jusqu’à la métaphore de tout notre système économique (basé sur le crédit et la confiance), voire de la création elle-même! De son propre aveu soucieux de devenir un «cinéaste du milieu», à la fois auteur et commercialement viable, Giannoli pose parfaitement le décor et les personnages, le récit et ses enjeux. Mais ensuite, le nez dans le guidon, il finit par sacrifier ce qui permettrait à son film de vraiment décoller.
On pense aux fables de Frank Capra (L’Homme de la rue) ou Preston Sturges (Gouverneur malgré lui) . L’auteur lui-même préfère invoquer John Huston (L’Homme qui voulut être roi) et s on filmage flirte avec la manière des frères Dardenne, tandis que certaines constructions tubulaires évoquent soudain 8 ½ de Fellini. Impossible pourtant d’oublier de logo d’EuropaCorp, la société de Luc Besson. Est-ce elle qui a exigé le resserrement du montage (exit Nathalie Boutefeu en ex-épouse de Paul), une accélération générale qui renforce un côté trop «rouleau compresseur»? Le film n’y a certes rien gagné. Et à la fin, l’éloge d’une réalisation inutile (tout ce bétonnage pour aller où?) sonne toujours un peu creux. Malgré la belle aventure humaine.
A l’origine, de Xavier Giannoli, France 2009, avec François Cluzet, Emmanuelle Devos, Soko (Stéphanie Sokolinski), Vincent Rottiers, Gérard Depardieu, Patrick Descamps. 2h10.