Cinéma
Un adolescent qui a grandi en orphelinat retrouve sa famille dans «La propera pell», film espagnol d’Isaki Lacuesta et Isa Campo. Un drame prenant de l’identité incertaine

Cinéaste méconnu, le Catalan Isaki Lacuesta avait remporté en 2011 le Grand Prix du festival de San Sebastian avec «Los pasos dobles», belle collaboration avec le plasticien Miquel Barcelo tournée au Mali. Après une comédie déjantée sur la crise économique («Murieron por encima de sus posibilidades», 2014), le voici qui ressurgit sur nos écrans avec un drame familial, à nouveau au bénéfice d’une coproduction helvétique (Bord Cadre films, Genève). Un cinquième long métrage de fiction signé avec sa compagne Isa Campo, coréalisatrice, coproductrice et coscénariste, qui se présente quasiment comme un double espagnol de «Quand on a 17 ans» d’André Téchiné, tourné de l’autre côté des Pyrénées.
Disparu huit ans plus tôt dans des circonstances mystérieuses, Gabriel (Alex Monner) est retrouvé en France dans un foyer pour adolescents, sous le nom de Leo. Mais s’agit-il bien du même garçon? Pour l’éducateur Michel (Bruno Todeschini), tout concorde, et sa mère Ana (Emma Suarez) n’a aucun doute sur son identité. Seul son oncle Enric (Sergi Lopez), le frère de son père décédé et l’aubergiste du village où il atterrit, semble voir d’un mauvais œil l’adolescent réintégrer la vie familiale. Tandis que Michel s’apprête à repartir et que Leo/Gabriel traîne avec son copain Joan (Igor Szpakowski), la tension ne fait que monter…
Un arrière-goût d’inabouti
On le voit, «La propera pell» («la prochaine peau», en catalan) n’a apparemment rien un drame de la découverte de l’homosexualité et c’est sans doute pur hasard si Gabriel et Joan ont eux aussi 17 ans. Pourtant, on retrouve également dans le style de Lakuesta un peu de cette sécheresse d’écriture qui caractérise Téchiné. Elle se prête d’ailleurs bien au drame de l’identité plus large qui se joue ici, avec la possibilité d’une imposture en guise de suspense. Gabriel a-t-il réellement été frappé d’amnésie? Est-il plus perturbé par l’amour retrouvé de sa mère ou par le mystère qui entoure son père? Et s’il servait de révélateur des secrets de ce village, dont on devine la violence cachée?
L’arrière-plan documentaire de l’orphelinat et de la communauté de montagne, le talent des comédiens et la rapidité d’exécution ont vite fait d’accrocher l’attention. Au cœur du film, l’opacité du jeune Alex Monner intrigue. Ce n’est qu’au fur et à mesure qu’apparaissent certaines limites, qui empêchent de décoller du petit drame psychologique. Entre une certaine grisaille photographique et un bilinguisme plus artificiel que vraiment nécessaire, on se demande ce qui est vraiment voulu. Et pour finir, difficile de ne pas se sentir un peu grugé devant une scène amoureuse balancée par surprise ou des révélations psychodramatiques tardives.
En tant que tentative pour un cinéaste positionné à la marge de regagner le «mainstream», «La propera pell» est sans doute une réussite. Mais en tant qu’œuvre autonome, le film laisse sur sa faim, aussi bien sur le plan émotionnel qu’intellectuel.
** La propera pell (La proxima piel), d’Isaki Lacuesta et Isa Campo (Espagne – Suisse, 2016), avec Alex Monner, Emma Suárez, Bruno Todeschini, Sergi López, Igor Szpakowski, Greta Fernández. 1h43