Kaze Tachinu – «Le vent se lève», en français – sera donc son dernier film. Le réalisateur Hayao Miyazaki a fait annoncer, dimanche 1er septembre, à la Mostra de Venise, où le film était présenté, qu’il prenait sa retraite. L’ultime film du réalisateur japonais, présenté à la Mostra, aborde un sujet sensible : il s’articule autour du destin de Jiro Horikoshi (1903-1982), concepteur du fameux Mitsubishi A6M Zero, appareil considéré comme l’un des meilleurs de la Seconde Guerre mondiale. Le film suit la trame de la nouvelle Kaze Tachinu, de Tatsuo Hori (1904-1953).

Inspiré de faits réels, une première pour le Studio Ghibli, le long-métrage vise plutôt un public adulte, à la différence du Voyage de Chihiro ou de Mon voisin Totoro. Sorti le 20 juillet au Japon, le long-métrage planait toujours au sommet du box-office japonais fin août. Outre Venise, il sera présenté en septembre au Festival de Toronto (Canada).

Le sujet abordé par Kaze Tachinu n’a pas manqué de faire naître des polémiques. Passionné d’aviation, Hayao Miyazaki s’est attaché à une personnalité restée célèbre dans l’histoire pour avoir conçu un appareil utilisé dans l’attaque japonaise sur Pearl Harbour en 1941 puis pour les opérations suicides des kamikazes.

Le Zero reste associé à la sombre période du militarisme nippon des années 1930-1940. Ce n’est pas un hasard si un exemplaire de cet avion accueille le visiteur du Yushukan, le musée au contenu à forte tonalité révisionniste installé dans l’enceinte du controversé sanctuaire Yasukuni (Tokyo), qui vénère les âmes des Japonais morts au combat et de dirigeants nippons reconnus coupables de crimes de guerre.

Relations tendues entre Japon, Chine et Corée du Sud

La polémique est d’autant plus vive que les relations entre le Japon et ses voisins chinois et coréens sont aujourd’hui tendues. En cause, la politique du très nationaliste premier ministre nippon Shinzo Abe qui veut engager l’Archipel dans une révision de sa Constitution pacifiste. Dans son allocution du 15 août, jour de la reddition du Japon en 1945, M. Abe a renoncé aux excuses formulées par ses prédécesseurs pour les souffrances infligées pendant la guerre aux pays voisins, Chine et Corée notamment. A cela s’ajoutent de durables contentieux territoriaux avec ces pays aujourd’hui très remontés envers Tokyo.

De quoi compliquer la promotion internationale de Kaze Tachinu, qui doit sortir le 5 septembre en Corée du Sud. Dans ce pays, la seule diffusion de la bande-annonce a conduit certains à demander l’interdiction du film. En Chine, les polémiques restent pour l’instant limitées.

Difficile pourtant d’imaginer que le film n’ait pas du succès dans ces deux pays, tant Hayao Miyazaki y est populaire. Quelque 1 300 dessins du Studio Ghibli sont présentés jusqu’au 22 septembre au Hangaram Design Center de Séoul. Outre son talent, le réalisateur de Nausicaä de la vallée du vent, né en 1941, est apprécié pour ses positions critiques du Japon militariste et, ces derniers mois, de l’actuel gouvernement.

Prises de position pacifistes

Soucieux de limiter les polémiques sur le film, Hayao Miyazaki a multiplié les interventions dans les médias. Interrogé en août par le quotidien japonais de centre-gauche Asahi, il évoquait son intention de «séparer Jiro Horikoshi» des extrémistes de droite qui se sont emparés de lui comme d’une «expression de leur patriotisme et de leur complexe d’infériorité». Le 26 juillet, il disait à la presse sud-coréenne son souhait de faire un film sur un ingénieur soucieux de concevoir de «beaux avions» et non des appareils à utiliser pendant la guerre.

Le 19 juillet, dans le mensuel Neppu, une publication du Studio Ghibli, Hayao Miyazaki avait signé un article titré «Modifier la Constitution est insultant». La veille de la sortie de son film, à deux jours d’importantes élections sénatoriales, le réalisateur proclamait son opposition à la politique de M. Abe. Il appelait également Tokyo à offrir des excuses et des dédommagements aux «femmes de réconfort», ces jeunes Coréennes, Chinoises ou autres enrôlées de force dans des bordels de l’armée impériale.

Ces prises de position pacifistes ne sont pas nouvelles de la part du réalisateur, et Kaze Tachinu s’en fait écho. Le film insiste sur le rejet de la guerre de Hayao Miyazaki, qui y voit un honteux gaspillage de vies humaines. Les extrémistes de droite nippons n’apprécient guère, tant le film que les propos du réalisateur. «Traître», «Antijaponais»... fleurissent sur Internet dans les commentaires sur les pages consacrés au film.