A l’heure où les grandes manifestations cinématographiques internationales se posent des questions quant à leur avenir direct et la forme que pourraient prendre leur édition 2021, dans un contexte sanitaire encore totalement incertain, le Locarno Film Festival a dévoilé jeudi le nom de la personne qui devra mener cette réflexion. Il s’agit de l’Italien Giona A. Nazzaro, une figure bien connue des milieux du cinéma. Un choix à même, notamment, de rassurer les voix critiques qui s’étaient élevées – injustement, il faut bien le dire – à l’encontre de la précédente directrice artistique, Lili Hinstin, jugée par certains «hors sol» alors même qu’artistiquement elle avait proposé l’an dernier une 72e édition enthousiasmante, construite autour d’une compétition internationale exigeante mais accessible, et d’une programmation capable de réconcilier cinéphiles et grand public sur la Piazza Grande.

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Le 24 septembre dernier, un communiqué lacunaire annonçait le départ de la Française après deux éditions seulement – la seconde ayant été réduite cet été à quelques rares projections en salle et à un petit volet en ligne. Cette décision avait été prise d’un commun accord avec la présidence de la manifestation, assurée par Marco Solari, «compte tenu de divergences stratégiques». Impossible d’en savoir plus, personne ne souhaitant commenter cette nouvelle. Mais il semble probable, selon certaines indiscrétions, que ce soit le conseil d’administration du festival qui ait précipité cette rupture de contrat.

Divergences opérationnelles

Au cours de la conférence de presse organisée à Locarno et visible en ligne lors de laquelle la nomination de Giona A. Nazzaro a été annoncée, Marco Solari a d’emblée balayé la question du départ de Lili Hinstin, se contenant d’affirmer que les divergences évoquées étaient dues à une stratégie non pas artistique, mais opérationnelle. Quelle était la vision de l’ancienne directrice du festival international du film Entrevues Belfort? On ne le saura peut-être jamais. Participant en août à une conversation en ligne avec les lecteurs du Temps, la Française ne laissait rien filtrer des désaccords qui allaient précipiter son départ.

Il n’aura donc finalement fallu que six semaines au Locarno Film Festival pour lui trouver un successeur, qui entrera officiellement en fonction le 1er janvier prochain mais travaille dès à présent aux côtés de Nadia Dresti, directrice ad interim. Né en 1965 à Zurich, Giona A. Nazzaro est actuellement délégué général de la Semaine internationale de la critique de la Mostra de Venise, membre du comité artistique de l’International Film Festival Rotterdam et directeur du comité de sélection de Visions du Réel à Nyon. Il connaît parfaitement la manifestation locarnaise, avec laquelle il collabore depuis 2009. Son parcours professionnel l’a également vu passer par les festivals de Turin et de Rome, en marge de la publication de plusieurs ouvrages, consacrés notamment à Gus Van Sant, à Spike Lee et à Abel Ferrara.

Le journaliste et critique est donc, dans la logique des propos de Marco Solari, en parfaite adéquation avec la stratégie opérationnelle de Locarno. «Absolument, je partage la direction dans laquelle veut aller le festival et comment il veut y aller, souligne l’Italien, joint par téléphone quelques heures après que son nom a été révélé. La pandémie nous a montré que la réalité opérationnelle d’une manifestation peut être assez fragile; il est donc primordial de tout faire pour éviter que, dans le futur, il puisse y avoir une nouvelle rupture si traumatique de cette réalité. Nous devons relever un défi qui est déjà celui de notre quotidien. Quand on répond à un message sur un portable, quand on regarde un film sur une tablette pendant un trajet en train, on est dans un environnement virtuel qui dépasse le cinéma. Même si je défends la salle et le plaisir de partager un film ensemble, et pourquoi pas en pellicule, il est nécessaire d’essayer dans le même temps de défendre le cinéma que Locarno a toujours soutenu dans une perspective plus ample. Nous devons dialoguer avec les défis du futur. Et je vous promets qu’il ne s’agit pas là d’une réponse diplomatique!»

Importance régionale et internationale

Pour Giona A. Nazzaro, observer l’évolution du Locarno Film Festival depuis sa création en 1946 permet de parcourir l’histoire du cinéma, de comprendre ses transformations techniques, ses débats esthétiques et idéologiques. Il veut évidemment continuer de s’inscrire dans cette histoire, penser le passé, le présent et l’avenir du septième art, mais sans pour autant oublier l’ancrage régional du festival. Sa nomination, en tant qu’italophone connaissant parfaitement la Suisse, est-elle aussi un moyen de rassurer les milieux politiques et économiques? «Je veux que ce festival soit encore plus présent sur la scène locale, régionale et nationale», répond-il, en soulignant que, s’il est par exemple important de défendre le cinéma suisse, il est tout aussi primordial d’intensifier le dialogue avec les studios internationaux et américains. «Mais c’est une erreur que de croire que, pendant onze jours, le festival est déconnecté de la réalité du Tessin», insiste-t-il. Il a d’ailleurs annoncé qu’il résiderait désormais à Locarno.

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La 74e édition du Locarno Film Festival se tiendra du 4 au 14 août 2021, selon une formule qui sera affinée en fonction de la situation sanitaire. «On va faire le festival, assure le nouveau directeur artistique, en essayant d’avoir une édition la plus proche de la normale. Car si on respecte le protocole sanitaire, on peut partager la joie du cinéma. Et si on doit garder le masque dans les salles, ce n’est pas grand-chose. Personnellement, je préfère regarder un film avec un masque plutôt que de rester chez moi.»