Dans la formidable lignée de grands auteurs du cinéma portugais qui va de Manoel de Oliveira à Miguel Gomes, en passant par Paulo Rocha, João César Monteiro, João Botelho et Pedro Costa, João Pedro Rodrigues, né en 1966, occupait jusqu’ici une place un peu incertaine, sans doute de par sa sensibilité ouvertement gay. Découvert par la Mostra de Venise avec un mémorable «O Fantasma» (2000), il a ensuite milité dans les sections parallèles de Cannes avec les inférieurs «Odete» et «Mourir comme un homme» pour finir à Locarno avec «La Dernière fois que j’ai vu Macao».

Une tendance baissière qui pourrait bien s’inverser avec «L’Ornithologue», lui aussi présenté à Locarno où il a remporté le Prix de la meilleure réalisation. Adopté par une critique extatique, le film a été aussitôt pris en distribution par notre Cinémathèque. Mais mieux vaut être averti: pas plus que ses devanciers, Rodrigues ne risque de devenir un goût majoritaire. Osera-t-on s’avouer partagé?

Parti de sa propre passion de jeunesse pour l’ornithologie, le cinéaste s’est également inspiré de la figure de Saint Antoine de Padoue, né au Portugal sous le nom de Fernando Martins de Bulhões. Ce qui donne l’histoire de Fernando, un ornithologue d’aujourd’hui qui s’aventure en kayak sur une rivière au nord-est du pays dans l’espoir d’apercevoir des oiseaux rares. Il se laisse toutefois surprendre par des rapides et est retrouvé inconscient par deux Chinoises... elles-mêmes égarées sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle! S’ensuit une série de rencontres en forêt plus ou moins fantasmatiques et symboliques, voire comiques: avec des sauvages déguisés, un berger nommé Jésus, des animaux empaillés et des amazones aux seins nus.

Dédoublement malin

«L’Ornithologue» séduit d’emblée par son format large et son rythme tranquille, la beauté de ses images et l’immersion dans une nature sauvage qu’on n’imagine pas exister en ces contrées. Le choix de l’acteur français Paul Hamy, au physique avantageux d’ex-mannequin doublé d’un jeu très naturel – même si on est loin des Gary Cooper et Randolph Scott fantasmés remerciés au générique – achève de bien nous disposer pour l’aventure.

A partir du naufrage, le film change cependant de tonalité pour bifurquer vers le récit picaresque et la fable poétique, sous influence de Pier Paolo Pasolini plus que de Raoul Walsh. S’y esquisse toute une martyrologie gay (bondage, ondinisme, blessures érotisées) à base de cruauté hétéro, avec pour seule plage de tendresse de mâles étreintes partagées avec... Jésus! Quant aux oiseaux, d’abord filmés comme dans quelque documentaire animalier, ils suivent ensuite toute cette aventure haut perchés en nous donnant leur point de vue le temps de brefs contre-champs: à la place de l’acteur, c’est le réalisateur lui-même qu’on y aperçoit.

Manière certes intelligente de reconnaître qu’on ne parle jamais que de soi, mais qui frise aussi dangereusement l’entre-soi abscons. Bref, si ce chemin de croix allégorique aboutit effectivement à Padoue, on n’en aura pas forcément perçu la dimension franciscaine et mystique. Et même si, en fin cinéphile, Rodrigues s’abstient de références voyantes, son film s’inscrit tout de même trop clairement dans le sillage d’Apichatpong Weerasethakul («Tropical Malady») et d’Alain Guiraudie («L’Inconnu du lac») pour qu’on ressorte ébloui par son originalité. Nouvel avatar d’un certain formatage festivalier coloré d’internationale invertie, cet «Ornithologue» aurait plutôt de quoi laisser un rien dubitatif.

** L’Ornithologue (O Ornitologo), de João Pedro Rodrigues (Portugal - France, 2016), avec Paul Hamy, Xelo Cagiao, João Pedro Rodrigues, Han Wen, Chan Suan, Juliane Elting, Flora Bulcao, Isabelle Puntel. 1h58