Il est Lucky, un cow-boy solitaire. A 90 balais, les cow-boys fument encore, mais ils vont à pied jusqu’au diner et font des mots croisés. Râleur invétéré poussant la maussaderie jusqu’au nihilisme («L’âme n’existe pas»), il se rebelle encore contre tout ce qui attente à la liberté individuelle (fumer dans les bars) et à la morale (le métier d’avocat). La mort ne veut pas de Lucky, pourtant, secrètement, il a peur.
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Souvent émouvant, jamais mièvre
Comédien vu dans Fargo ou Shutter Island, John Carroll Lynch signe son premier film. Il évite brillamment l’écueil de la mièvrerie. Lucky est sec comme le désert, mais habité de personnages magnifiques. La routine quotidienne du vieil ours est ponctuée de gags existentiels, elle se collette avec les grandes interrogations métaphysiques et touche au sublime lorsque, inopinément, dans une fiesta, Lucky entonne une complainte mexicaine bouleversante.
L’univers de Lucky renvoie à Une Histoire vraie de David Lynch. D’ailleurs le cinéaste tient le rôle d’Howard, propriétaire d’une tortue qui s’est fait la belle («Sa carapace sera son cercueil»), et sa présence semble déterminer l’apparition d’une chambre rouge ouverte sur l’étrangeté.
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Lucky est un héros américain ambigu. Enfant, il a tiré sur un mocking-bird, mais il a fait la guerre dans le Pacifique. Un vétéran lui parle d’une petite fille bouddhiste qui souriait face à son destin. Peu avant la fin du film, Lucky, réconcilié, regarde la caméra et sourit. Ce sourire contient l’immense humanité.