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Main basse sur L’Aquila

Documentaire choc, «Draquila» de Sabina Guzzanti démonte le «système Berlusconi» à partir de la gestion du tremblement de terre de L’Aquila. Un vrai film-catastrophe à l’talienne!

La nuit est épaisse, les rues silencieuses. La caméra vidéo suit un guide à travers une ville fantôme, en ruine. Bienvenue à L’Aquila, capitale des Abruzzes, région montagneuse à l’est de Rome, partiellement détruite le 6 avril 2009 à 3h30 du matin par un séisme de magnitude 6,3. Des mois plus tard, ses 72 000 habitants – moins 300 morts – vivent dispersés dans des camps de fortune (tendopoli) et divers hôtels de la côte adriatique, en attendant les nouveaux logements promis par le gouvernement. L’accès de leur ville est strictement interdit aux médias, mais notre guide n’est autre que le maire Massimo Cialente – écarté des prises de décision pour cause d’état d’urgence.

Ainsi débute Draquila – L’Italie qui tremble, le nouveau documentaire de l’ex-satiriste de TV Sabina Guzzanti. «Ex» parce que censurée pour s’être attaquée à Silvio Berlusconi, comme elle l’a raconté en 2005 dans un pamphlet bien envoyé, Viva Zapatero! Cinq ans, quelques spectacles et un autre film resté inédit plus tard (Le ragioni dell’aragosta, 2007), voici la remuante comédienne de retour, légèrement plus en retrait pour ce documentaire qui veut ouvrir les yeux. Car la tentation est toujours là de voir en Berlusconi un dirigeant malgré tout efficace doublé d’un jouisseur inoffensif. Rondement mené, fort de plus d’un point commun avec le Fahrenheit 9/11 de Michael Moore et When the Levees Broke de Spike Lee, Draquila est de ces documentaires qui lâchent ni leur proie ni le spectateur, estomaqué.

Montée à L’Aquila fin juillet, Sabina Guzzanti débarque après le grand battage médiatico-humanitaire savamment orchestré par «Sua Emittenza», avec pour clou un G8 transféré d’urgence. Dès lors, le film possède le recul nécessaire pour jeter un autre regard sur les événements. Hypothèse de départ: et si la tragédie de L’Aquila avait finalement constitué une aubaine pour un président du Conseil en chute dans les sondages? Et de dérouler un fil d’Ariane des plus convaincants, au travers de nombreuses interviews, en laissant le temps décanter les choses.

Derrière les premières réactions de citoyens éperdus de gratitude pour un Berlusconi qui a su faire fi des lenteurs étatiques se dessinent bientôt les contours d’une politique bien moins reluisante. Celle-ci est fondée sur l’abus de l’état d’exception, appliqué à tous les «grands événements», des visites papales aux catastrophes naturelles. La Protection civile dirigée par le haut fonctionnaire Guido Bertolaso hérite alors des pleins pouvoirs aux détriments des autorités locales et des citoyens, privés de leurs libertés, ignore toutes les limites légales et distribue les contrats aux entrepreneurs amis.

Pendant que Berlusconi et Bertolaso occupent le devant de la scène médiatique, promettant des logements dès septembre, que fait la gauche? Elle dresse une tente-stand d’information, vite désertée. Mais Guzzanti a mieux à faire que d’ironiser. De retour quelques mois plus tard, elle enregistre l’inévitable déception devant ces cités-dortoirs érigées à la hâte et à grands frais avec l’argent du contribuable, tandis que le centre historique et la majorité des déplacés attendront des jours meilleurs.

Entre-temps, un scandale a éclaté, éclaboussant un Bertolaso soupçonné de corruption dans l’octroi de marchés publics. Un projet de privatisation de la PC est aussitôt annulé. Les centaines de millions gaspillés pour accueillir le G8 à La Maddalena, en Sardaigne, et surtout les économies réalisées sur le dos de la prévention (scène déchirante d’un journaliste local qui a cru à l’absence de danger et a perdu ses enfants) reviennent eux aussi hanter le bilan gouvernemental. Pour faire bonne mesure, Guzzanti y ajoute les scandales sexuels (commentaire de la ménagère de base: «Heureusement que nous avons un président qui aime les femmes, pas un pédé!») et l’origine douteuse de sa fortune (forts soupçons de blanchiment d’argent mafieux pour ériger le quartier résidentiel de «Milano 2» dans les années 1970).

Comme à Michael Moore, on pourra toujours lui reprocher un manque de rigueur dans la forme, certains raccourcis douteux et une contradiction réduite à la portion congrue. Mais l’enquête, qui dévoile une cynique instrumentalisation de la tragédie, reste accablante. Lorsque l’on voit les appartements modèles livrés avec, trônant au centre, un bel écran plat prêt à prêcher le berlusconisme, le cauchemar orwellien n’est pas loin. Certes, comme le relève un dernier intervenant, «Ceci n’est pas une dictature de la torture, juste une dictature de la merde. Mais qui dure.» Et quand seule une comique trouve encore les moyens de s’en indigner publiquement, il y a de quoi être inquiet pour l’avenir de ce pays.

VVV Draquila – l’Italie qui tremble (Draquila – l’Italia che trema), documentaire de Sabina Guzzanti (Italie).1h39.