Montée à L’Aquila fin juillet, Sabina Guzzanti débarque après le grand battage médiatico-humanitaire savamment orchestré par «Sua Emittenza», avec pour clou un G8 transféré d’urgence. Dès lors, le film possède le recul nécessaire pour jeter un autre regard sur les événements. Hypothèse de départ: et si la tragédie de L’Aquila avait finalement constitué une aubaine pour un président du Conseil en chute dans les sondages? Et de dérouler un fil d’Ariane des plus convaincants, au travers de nombreuses interviews, en laissant le temps décanter les choses.
Derrière les premières réactions de citoyens éperdus de gratitude pour un Berlusconi qui a su faire fi des lenteurs étatiques se dessinent bientôt les contours d’une politique bien moins reluisante. Celle-ci est fondée sur l’abus de l’état d’exception, appliqué à tous les «grands événements», des visites papales aux catastrophes naturelles. La Protection civile dirigée par le haut fonctionnaire Guido Bertolaso hérite alors des pleins pouvoirs aux détriments des autorités locales et des citoyens, privés de leurs libertés, ignore toutes les limites légales et distribue les contrats aux entrepreneurs amis.
Pendant que Berlusconi et Bertolaso occupent le devant de la scène médiatique, promettant des logements dès septembre, que fait la gauche? Elle dresse une tente-stand d’information, vite désertée. Mais Guzzanti a mieux à faire que d’ironiser. De retour quelques mois plus tard, elle enregistre l’inévitable déception devant ces cités-dortoirs érigées à la hâte et à grands frais avec l’argent du contribuable, tandis que le centre historique et la majorité des déplacés attendront des jours meilleurs.
Entre-temps, un scandale a éclaté, éclaboussant un Bertolaso soupçonné de corruption dans l’octroi de marchés publics. Un projet de privatisation de la PC est aussitôt annulé. Les centaines de millions gaspillés pour accueillir le G8 à La Maddalena, en Sardaigne, et surtout les économies réalisées sur le dos de la prévention (scène déchirante d’un journaliste local qui a cru à l’absence de danger et a perdu ses enfants) reviennent eux aussi hanter le bilan gouvernemental. Pour faire bonne mesure, Guzzanti y ajoute les scandales sexuels (commentaire de la ménagère de base: «Heureusement que nous avons un président qui aime les femmes, pas un pédé!») et l’origine douteuse de sa fortune (forts soupçons de blanchiment d’argent mafieux pour ériger le quartier résidentiel de «Milano 2» dans les années 1970).
Comme à Michael Moore, on pourra toujours lui reprocher un manque de rigueur dans la forme, certains raccourcis douteux et une contradiction réduite à la portion congrue. Mais l’enquête, qui dévoile une cynique instrumentalisation de la tragédie, reste accablante. Lorsque l’on voit les appartements modèles livrés avec, trônant au centre, un bel écran plat prêt à prêcher le berlusconisme, le cauchemar orwellien n’est pas loin. Certes, comme le relève un dernier intervenant, «Ceci n’est pas une dictature de la torture, juste une dictature de la merde. Mais qui dure.» Et quand seule une comique trouve encore les moyens de s’en indigner publiquement, il y a de quoi être inquiet pour l’avenir de ce pays.
VVV Draquila – l’Italie qui tremble (Draquila – l’Italia che trema), documentaire de Sabina Guzzanti (Italie).1h39.