Applaudissement émus du «grand public», grincement des dents de la critique plus pointue. Mais qu’est donc venu faire «Mal de pierres» de Nicole Garcia à Cannes, surtout en compétition? Sa maison de production, Studiocanal, et sa vedette, Marion Cotillard, ne sont sûrement pas étrangères à cette étrange sélection. Mais pour être tout à fait honnête, il faut aussi avouer qu’après les trois heures de jeunesse débridée, «jump cuts» et rap à gogo proposés par l’Anglaise Andrea Arnold («American Honey»), un peu de classicisme faisaient presque du bien.
Sanatorium suisse
On le pressentait, avec l’actrice Nicole Garcia, 70 ans, également réalisatrice depuis trente et par deux fois apparue en compétition (avec «L’Adversaire» et «Selon Charlie»), ce serait le grand cinéma romanesque à l’ancienne qui reviendrait en force. On a été servis avec «Mal de pierres», transposition d’un roman multiprimé de l’auteure sarde Milena Agus (2006) dans la France de l’après-guerre. Structure en flash-back, reconstitution d’époque, beaux interprètes, photo somptueuse, grande musique symphonique: rien n’y manque – même pas un merveilleux sanatorium suisse pour soigner ce qui s’avère être… de simples calculs rénaux.
Plus intrigante est la circonstance de leur apparition chez Gabrielle (Marion Cotillard), une jeune fille qui a grandi dans le Sud de la France sur le domaine de ses parents. Submergée par un désir charnel doublé d’un rêve de passion absolue, elle fait scandale le jour où elle s’éprend du professeur de son village. Soucieux de la caser, ses parents la donnent à José (Alex Brendemühl), un ouvrier saisonnier catalan, chargé de faire d’elle une épouse respectable. Déterminée à ne pas l’aimer, Gabrielle se résigne mais ne tarde pas à craquer physiquement. Envoyée en cure thermale, elle y rencontre alors André Sauvage (Louis Garrel), un lieutenant blessé dans la guerre d’Indochine, qui fait renaître en elle cette exigence d’un amour absolu…
Fantasmes au féminin
Franchement, c’est du beau travail qui se laisse regarder sans déplaisir, avec une Marion Cotillard toujours aussi parfaite. La folie romantique de l’héroïne frise le sublime mais est également d’une cruauté absolue envers son mari, admirable de dignité et d’abnégation. Le regard de la cinéaste paraît double. Arrive alors un retournement surprise qui vient remettre en question bien des choses. Tricherie ou habileté suprême que de nous avoir présenté de manière objective des événement fantasmés par Gabrielle? C’est l’autre question clé de ce film, après celle de savoir à partir de quel moment le classicisme se transforme en académisme.
Questions délicates. En l’occurrence, on s’est sentis un peu trompés. Par un simple manque d’imagination dans la mise en scène? Tel quel, «Mal de pierres» n’est pas près de remplacer «Madame Bovary» ou «Lettre d’une inconnue» au panthéon des œuvres consacrées à l’illusion romantique. Mais on peut aussi être sûr qu’à sa sortie en salles en octobre, ce film fera meilleure figure - si la critique n’en aura pas fait une de ses fameuses «victimes du festival» d’ici là.