«Mi país imaginario», le rêve d’un Chili plus juste et égalitaire
cinéma
AbonnéLe grand documentariste Patricio Guzman revient avec un film tourné dans la foulée de la révolution sociale de 2019. A découvrir à Genève dans le cadre de Filmar en América latina, avant une sortie en salle la semaine prochaine

Il y a d’abord ces images d’archive en noir et blanc, qui rappellent à quel point Salvador Allende (1908-1973) était une figure populaire et porteuse d’espoir pour la création d’un Chili moderne et juste, avant que le coup d’Etat fomenté par le général Pinochet ne le pousse au suicide et que le pays ne plonge dans les ténèbres d’une longue dictature. Quelques mois avant ces tragiques événements, Patricio Guzman tournait les premières images de La Bataille du Chili, qui allait devenir un documentaire fleuve en trois parties montrant comment les utopies socialistes se heurteront à la violence de la junte militaire, et qui le forcera à l’exil. En voix off, le cinéaste de 81 ans se remémore dès le début de Mi país imaginario, son nouveau documentaire, un conseil de son ami Chris Marker: si tu veux filmer un incendie, il faut être là à la première flamme.
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En octobre 2019, lors de la petite étincelle qui bientôt provoquera un grand embrasement, il n’était pas au Chili. A la suite de l’annonce par le président Sebastian Piñera de l’augmentation du prix du billet de métro à Santiago, les lycéens et étudiants décident d’abord de sauter par-dessus les tourniquets, avant de descendre dans la rue. Cette augmentation est comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et très vite la ville hurle sa colère, provoquant une explosion sociale sans précédent.
Vague féministe
Derrière le prix du ticket de métro, c’est toute une politique de privatisation aboutissant à une irrémédiable paupérisation qui est pointée. Dépassé, Piñera déclare l’état d’urgence et fait appel à l’armée, ce qui n’était plus arrivé depuis les heures les plus sombres de la dictature. Cette décision provoque plus de colère encore, le peuple décide d’aller à la confrontation, réclamant notamment une refonte de l’éducation et de la santé. La contestation prend également une tournure féministe, avec des marées de femmes de tous âges dénonçant haut et fort une société encore majoritairement sexiste.
Ces événements, qu’il est venu filmer dès que possible, rappellent à Guzman sa jeunesse. Pour lui, c’est comme si le Chili avait retrouvé sa mémoire. «L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin», dit-il. Le peuple demande aussi, et obtient après une votation en forme de plébiscite, la réforme de la Constitution. Le film, qui témoignage d’un basculement social et politique, se termine sur la création d’une Assemblée constituante présidée par une femme mapuche, qui enfin peut faire entendre la voix d’une minorité ethnique longtemps ignorée, et dont les terres ont été pillées. Las, le premier projet de nouvelle Constitution vient d’être rejeté par référendum. Ce pays imaginaire qu’aimerait habiter Patricio Guzman deviendra-t-il un jour réalité? On rêverait que ce grand documentariste puisse donner une suite à ce film.
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Mi país imaginario, de Patricio Guzman (Chili, 2022), 1h23. Avant-première dans le cadre du festival Filmar en América latina, Cinémas du Grütli, Genève, samedi 19 novembre à 18h15, suivie d’une discussion. Sortie dans les salles romandes le 23 novembre, en collaboration avec Ciné-Doc pour de nombreuses séances spéciales.